Quelques mots de Foglia

Ah là je sens que je vais faire des heureux ! Savignac, petit insolent verbeux et bénévole va se frotter à Fog ! Allez on s’amuse, on fait sur le web, là où le texte est ouvert en pâture à cette nouvelle existence sociale et libératrice : le commentaire !

Oui, quelques mots de Foglia. Pierrot, le phare éternel du St-Laurent, la lumière de la rive sud. En général, tu touches pas à ça. Surtout si t’écris. Surtout.

Depuis quelques années que je fais le blogue, je suis régulièrement – le commentaire ! – mis en face de Pierrot le typographe. De rares fois positivement, mais plus souvent qu’autrement, il sert de main à votre matraque. En d’autres mots, certains voient dans mes textes des tournures pouvant éventuellement faire référence à, mais la plupart se ravissent de me traiter de pseudo, et de vouloir que.

Soupir … Salope audace qu’un adverbe, qu’un adjectif, voire deux. Faudra t’il attendre encore vingt ans, que le vieux mange les pissenlits par la racine, pour qu’on puisse défoncer à nouveau la sacro-sainte sujet-verbe-complément-point sans être accusé de hold-uper le patron de la rue St-jacques ? Voir dans une phrase un peu plus longue que le bout de son nez ou dans un point de vue minimalement décalé du Foglia, ne serait-ce pas, surtout, un bien grand aveux de faiblesse de lecture ? ou Pierrot a-t-il tout simplement hypothéqué pour une génération toute entière l’écriture, tout simplement ?

Je m’en fous. Je l’aime Foglia. Pour toujours. Son texte de la semaine dernière était vraiment nul. J’ai écouté de la musique avec mes petits enfants, j’ai regardé Monsieur Lazhar sous ma doudou, Charest m’a fait rire avec sa blague sur les étudiants. Bon, c’était mieux écrit que ça, y’avait des adverbes, des adjectifs. Mais c’était nul. Moi, mon texte avait pas mal plus de couilles. Tellement de couilles que j’ai confondu symbole et héros, que j’ai fait l’apologie de la violence sans m’en rendre compte, et que je me suis planté comme un beau champion. Y’a des fois où tu ferais mieux d’écrire sur ton resto préféré.

J’étais à l’extérieur la semaine dernière, et j’en ai échappé des petits bouts. Parmi lesquels, cette vidéo d’Amir Kadhir au Palais des Congrès, quand il demandait à rencontrer un responsable de la police suite aux multiples arrestations de manifestants. Vingt minutes de bonheur. La perfection selon Amir. Élégance, parapluie et souliers de cuir, calme, pertinence, patience et intelligence. Aux connards qui rotent encore son lancer de godasse de jadis, je leur oppose à jamais cette intervention, lumineuse, parfaite.

Moi aussi j’aime les chats, mais un par un. Et quand il pissent pas partout. J’ai fait du vélo quand j’étais petit aussi.

Mon texte s’appelle Quelques mots de Foglia. J’ai volé le titre à Pierrot le vieux phare. Et oui, encore une fois. Normalement on dit Quelques mots SUR Foglia, pas DE Foglia. Mais tu t’inspires ou tu t’inspires pas, hein. C’était en juin 2011, ça s’appelait Quelques mots d’Amir. Je vous invite à le relire. Et à y penser. C’est le bon moment.

Sur la violence

Dans le conflit qui oppose les étudiants et le gouvernement, les derniers jours ont vu la violence se placer bien plus au coeur du débat que les éléments techniques relatifs au financement des universités et aux frais de scolarité. Mieux, je ne peux qu’observer que c’est de la recrudescence de la violence que naquit enfin cette idée, pourtant évidente, de s’asseoir, et de discuter.

Mieux encore, j’ai identifié le héros de cette grève.

J’aime beaucoup Gabriel. Je l’aime depuis le 7 avril, ce beau jour du NOUS?, moulin à paroles durant lequel il intervint de façon lumineuse, avec l’aplomb d’un futur grand. Sa voix avait la tonalité encore incertaine de ses vingt ans, mais ses mots avaient la force et la sagesse de ses pères. Je vous invite à l’écouter ce jour-là, prenez cinq minutes. Je souhaite à mon fils que Gabriel garde toujours sa colère et soit, un jour, un choix dans l’isoloir. On peut rêver.

Parenthèse à ceux qui aiment les raccourcis efficaces et coller une paire de couilles à la moindre démonstration de courage, notons au passage la solidité de Martine Desjardins qui tint tête à la petite ministre en refusant l’exclusion de Gabriel et de ses amis.

Martine, Gabriel, Léo. Au front.

Pourtant, le vrai héros, c’est pas eux, c’est lui. Je ne connais pas son nom, mais vous avez tous vu sa photo, prise par Alain Roberge, de La Presse : casque lourd solidement attaché au menton, veste d’armée, sac à dos, visage masqué par un foulard rouge, mains gantées de cuir noir, tenant avec détermination dans ses mains une pioche des plus menaçantes.

Une pioche.

Je vous entends hurler et me conspuer déjà. Normal. Ce type représente tout ce qui nous effraie. Pire, il est le contraire de ce que nous sommes intrinsèquement. Forgés à la tranquillité d’une révolution sans gifle, poussés à la racine même du consensus absolu, nous avons acquis depuis longtemps la conviction du pacifisme. Au point que nos cabinets de psychologues sont envahis aujourd’hui d’âmes à la colère interdite et refoulée aux tréfonds. Des colères ravalées à nous faire sortir des cancers.

L’évitement des déchirements internes nous permit naguère de faire bloc et de faire survivre notre distinction face à l’oppresseur, d’où notre peur systématique et compréhensible de toute forme d’affrontement. Quand tu dois ta survie au groupe, au consensus et à la solidarité, tu éviteras même jusqu’aux débats du dimanche en famille. Voilà de quoi nous sommes faits.

Depuis, l’idée même de la violence nous bouleverse et nous confronte. Pourtant, et pas besoin de remonter plus loin qu’à l’an dernier, le monde a démontré tout au long de sa ligne du temps que la colère est source de libération. Et quand la colère des mots vient frapper la surdité autoritaire de l’oppresseur, seule reste la violence. Et ce n’est pas en faire l’apologie que d’affirmer qu’elle fut, de toute éternité, source de changements et d’émancipation. Affirmer le contraire, c’est nier tout le chemin parcouru jusqu’ici.

Je devrais maintenant commencer le paragraphe des désormais célèbres « commentaires inutiles à m’envoyer », mais j’ai la conviction de votre intelligence et que je n’aurai pas besoin de me répandre à réaffirmer que le Rwanda et Auschwitz furent l’expression de l’horreur absolue. Et non je ne bats pas mon enfant. Et oui Gandhi fut formidable. Si on peut s’éviter quelques caricatures …

Est-ce que la pioche a servi ce jour-là? l’histoire ne le dit pas. L’homme à la pioche était-il un étudiant ? On dit que non. Pourtant, c’est bien lui qui aura dénoué le conflit. Il a rappelé à notre confort que nous sommes des humains, que nous privilégions toujours le dialogue, mais qu’au refus du dialogue succèdera toujours la colère. Et du mépris de la colère, naitra toujours la violence.

Nos valeurs morales sont ébranlées, mais la discussion a enfin démarré.

Le petit blond

Lundi matin. Dixième semaine de la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité. Dans le métro, des sacs sur la voie, des freins de secours actionnés, simultanément, sur plusieurs lignes. Ça se durcit. Je suis bloqué. Dedans. Il fait chaud, trop chaud. Les usagers sont enragés, moi aussi. Certes nous sommes habitués, en échange d’une coquette contribution, à voyager comme des bestiaux résignés, mais au moins, on voyage. Ce matin, on est des veaux, mais à l’arrêt. À cette vitesse, ça peut durer toujours. Dans notre nouvelle et inconfortable condition de veaux éternels, on beugle : « Tout ça c’est la faute à l’autre là, le petit criss d’agitateur, le furieux, le petit blond là ! ». Et je vous fais grâce de l’écho du wagon et de ses bêtes haletantes.

Moi aussi j’ai le veau suant et rebelle. En plus c’est lundi. Et de m’en prendre, moi itou, au mobilier clérical, mais je vous l’épargne, on peut être veau et élégant. Oui c’est sa faute au petit blond, oui. Tabarnak.

Pardon.

Le petit blond. Non il ne mérite même pas qu’on le nomme. De toute façon, quand tu portes un nom avec un risque aussi élevé de fautes de frappe, tu es déjà suspect à mes yeux. Ce sera le petit blond, pis c’est toute.

Le petit blond donc, leader arrogant et teigneux de cette organisation radicale et violente, qui prétend parler au nom des siens, au nom d’une prétendue majorité, qui prétend vouloir le bien des étudiants et de leur avenir, mais qui ne fait que, avec une fourberie éloquente, provoquer, bloquer, durcir et contribuer, avec son air de ne pas y toucher, au désordre social en encourageant sournoisement une violence qu’il justifie par son silence.

Phrasé monotone et air faussement doux, le regard fuyant, le cheveu incompréhensible, il porte la tête avec l’insolence du mépris. Il n’aura aucune excuse. Il sait son échec. Dans son entreprise de défaite, il a décidé d’emmener avec lui une génération d’étudiants toute entière. Une génération dont il se fout éperdument, une génération qu’il sacrifie sur l’autel de son orgueil sans Classe.

J’ai fini par sortir de mon étable souterraine, bien plus tard, avec le troupeau. De retour à la surface, épuisé de colère, mais libre, j’ai fini par me raisonner; il est condamné à disparaitre, de toute façon. C’est la lutte finale de l’austère, le chant de cygne du cabochon, le baroud de déshonneur du vaincu.

Demain, bientôt, d’autres rêves plus grands nous envahiront, et on ne se rappellera plus du petit blond. Frisé.

La gauche et la droite expliquées à mon fils

– Papa, toi tu dis toujours la gauche, la droite, la gauche, la droite … mais c’est quoi ça, qu’est-ce que ça veut dire ?

– Mon amour. C’est très simple. La gauche véhicule des valeurs humanistes, des valeurs de progrès, de solidarité, de liberté, de justice, de partage et d’égalité, tandis que la droite, plus pragmatique, favorisera des valeurs traditionnelles fondées sur l’ordre, le mérite, la sécurité et le conservatisme, valeurs auxquelles il faut ajouter la prédominance de l’individualisme, du libéralisme économique dérèglementé favorisant, avant toute chose, le profit. Va te brosser les dents.

– Papa … j’ai huit ans …

– Excuse-moi mon crapaud, Papa a eu une semaine difficile, il s’est fait chicaner à cause d’une dénommée Monique, enfin je t’expliquerai plus tard. Alors, comment te dire… voilà : imaginons que ton école, c’est le monde; ta classe, un pays; ton professeur, le Premier Ministre, et toi et tes amis, des citoyens. Dans ta classe, il y a des enfants qui ont plus de facilités, qui réussissent bien, et d’autres qui ont plus de difficultés. Tu as remarqué ça ?

– Antoine, il est nul.

– Et bien tu vois, dans la vie des adultes, y’a des Antoine aussi. Alors on a deux solutions : soit on dit qu’Antoine est nul et puis on continue d’avancer sans lui parce que nous ça va bien et puis il fait rien que nous ralentir, soit on décide de lui donner un coup de main. Par exemple, le professeur peut, à la fin du cours, ré-expliquer la leçon à Antoine, ou encore vous demander à vous, les autres élèves, de prendre un peu de temps pour l’aider à comprendre.

– Oui mais j’aurai moins de temps pour jouer à la récré !

– C’est vrai. C’est ça la gauche et la droite mon amour. Être de droite, c’est vouloir à tout prix sa récréation, parce qu’on a travaillé fort pour l’avoir, et qu’on la mérite. Être de gauche, c’est accepter d’avoir cinq minutes de récréation en moins, mais de ne pas laisser Antoine sur le bord du chemin.

– En plus il est super bon au hockey !

– C’est ça la force du groupe mon chéri. Les cinq minutes que la classe a donné à Antoine, il va les rendre autrement si on lui en donne la chance, parce que c’est sûr qu’Antoine, lui aussi, a des forces qui vont bénéficier à toute la classe. Grâce à Antoine, vous êtes plus forts au hockey. Et grâce à vous, Antoine est meilleur en maths. Quand on est de droite, on pense moins à ces choses là. On veut que notre effort en maths nous fasse gagner cinq minutes de récréation de plus, pas en perdre parce qu’un autre est à la traine. Or, que ce soit dans ta classe ou dans la société, nous sommes ce beau mélange : un ensemble de forces et de faiblesses différentes, et chacune de ces petites forces et faiblesses forment un groupe magnifique, pluriel, intelligent, généreux, soucieux de l’autre. Un groupe qui partage, qui n’exclut personne, qui tend la main parce qu’un jour, aussi fort qu’on soit, il se peut qu’on trébuche et qu’on ait besoin d’une main forte pour nous relever. Être de gauche, c’est prendre cinq minutes, et tendre sa main. C’est là qu’est ton coeur fiston, à gauche. T’as juste à te rappeler de ça.

– Kévin il est de droite. Il fait jamais de passes.