Les importés

Entre St-Jean et Fédération, la semaine la plus improductive de l’année, nous partageons quelques bières au soleil entre amis, dont plusieurs d’importation. Pas les bières, les amis. Je tiens tout de suite à rassurer les amateurs de psychologie boiteuse et hirsute : ils étaient tous blancs et catholiques, j’ai vérifié.

Un importé :  J’ai une belle vie ici, je suis heureux. Le Canada, c’est le pays qui m’a accueilli. Tu peux pas oublier ça, tu comprends c’est …

Moi : tend menute ! Le Canada, c’est un type en casquette à l’aéroport qui t’as dit « C’est bon, allez-y ». Le Canada, c’est ce long formulaire que tu as rempli pour rester ici. Le Canada, c’est une dame d’ailleurs, inutile et coûteuse, que tu ne verras jamais, sauf sur ton billet de vingt. L’accueil, mon pote, c’est nous !

L’importé : Oui mais …

Encore moi : Attend je te dis ! L’Amérique en Français, les grands espaces (un peu au nord du Plateau), l’hiver, les loups et les ours, la pout’ de chez Ashton, les festivals, les Indiens dans des tipis (on t’a bien eu hein !), les aurores boréales, les lacs des Laurentides, Vigneault, Riopelle, Laferrière … as-tu jamais dû passer les lignes Ontariennes pour trouver tout ça ? Tous tes rêves de Canada étaient des rêves de Québec, mec. Et les bras …  ce sont nos bras qui se sont ouvert à toi. Des bras Québécois qui te disent que tu seras toujours le bienvenu à ma table. Le Canada n’a qu’un bras, et il sert à réparer un deux-et-demi sans balcon égaré dans l’espace. Tu es venu vivre dans le pays Québec, mec.

L’autre importé, tout neuf : Elle est vraiment dingue cette discussion ! J’ai jamais parlé de ça moi d’un pays ! J’ai beaucoup voyagé, dans plein d’endroits du monde, grands, petits, riches, pauvres, à l’est, à l’ouest, et la question de pays n’a jamais été au centre d’aucune conversation ! Même ceux qui manquaient de tout ne manquaient pas de ça, d’un pays ! C’est juste normal d’avoir un pays, c’est comme avoir un père et une mère, ou respirer de l’air … mais en vous écoutant, je réalise que le Canada est un pays bizarre … donc si je comprend bien, ceux que tu citais tout à l’heure, Riopelle, Vigneault, Laferrière, ton concitoyen de Vancouver, il ne les connait pas ?

Moi, debout : Crisse, il est même pas capable de prononcer leur nom comme du monde ! À par Ceuline Dionne, il ne sait rien de nous. Et on ne sait rien de lui. Comprends bien : on ne s’haït pas, on ne se connait juste pas. Comment peux-tu te sentir d’un même pays qu’un type que tu rencontres et qui ne parle pas la même langue que toi, qui ne lit pas les mêmes livres, les mêmes journaux, qui n’écoute pas la même musique, qui ne prépare pas les mêmes mets, qui ne voit pas le même présentateur au télé-journal le soir à la télé et qui te regarde, l’oeil ahuri, quand tu lui parles, ému, de Passe-Partout ? Comment t’appelles ça toi ?

Les importés, pas émus : Ben, un étranger.

Moi, triomphant : Voilà ! Le ciment linguistique, culturel, régional, patrimonial, émotif et nostalgique n’existe pas au Canada. Par contre, il est un fait Québécois, évident. On respire le même air, comme tu dis.

L’importé du début : Donc tu es souverainiste, tu …

Moi, dans le fond de ma chaise : Non … il a raison ton copain, tout ça est complètement débile. Me vois-tu, en train de militer, jusqu’à l’épuisement, pour démontrer que je viens d’un père et d’une mère, et que je respire de l’air ?

Eux, fourrés : Putain de merde …

Jean Charest vous crache à la gueule

Si je devais faire une pub télé mettant en scène mon adversaire, je le montrerais dans la pire des positions, puisque mon intention est de le dénigrer. C’est ce que vient de faire Jean Charest avec un spot qui présente Pauline Marois en train de frapper sur des casseroles.

Frapper sur des casseroles. Comme l’ont fait des dizaines de milliers de citoyens, étudiants, travailleurs, ainés, enfants, partout dans la province. Voilà ce que Jean Charest trouve de plus méprisable.

Il ne s’agit donc plus de dénigrer un adversaire politique ou son parti, mais une frange toute entière de la population ! C’est sans doute une première dans une campagne électorale où un candidat s’offre le luxe d’insulter, à la télévision, ses administrés.

Vous avez, un jour, frappé sur des casseroles, ou vous avez eu quelques sympathies pour ceux qui l’ont fait ? Jean Charest vous crache à la gueule.

Jeff Fillion et le temps de trop longue sécheresse

Mademoiselle Wersinger, lesbienne distinguée, fille de Beauvoir, féministe fondamentaliste considérant le moindre pénis comme une voie de fait aggravée, professeur de philosophie, sentait fort bon. J’avais 18 ans, et faute de m’émouvoir le bas ventre inutilement, elle a su, mieux que personne, m’éveiller intellectuellement. 

Elle détestait ma virilité en construction, mais elle appréciait mes travaux. Grâce à ça, elle me gratifia de quelques précieuses minutes supplémentaires d’échanges de fins de cours tout au long de l’année, minutes que je ne savais pas encore déterminantes. Pirandello, Kant, Voltaire, les Grecs, l’école Allemande.

– Vous écrivez bien Étienne, votre réflexion commence à se structurer, mais je ne me fais pas d’illusions, vous allez sécher, comme presque tous les autres.

– Sécher ?

– Oui, sécher. Vous n’avez de force que votre jeunesse, et rien ne m’assure aujourd’hui que vous resterez éveillé bien longtemps. Un monde de simplification vous attend. Un monde de raccourcis, un monde d’idées médiocres et pré-mâchées, un monde de petits rongeurs incultes et sans âme, atrophiés au désir du dollar, assoupis et gavés de consommation et de programmes télévisés que vous ne tarderez pas à rejoindre, malheureusement. Regardez vos parents.

La philosophe unilingue n’y allait pas par quatre chemins, et elle n’avait même jamais rencontré mes parents, la conne. Ce jour là j’ai quitté la salle de classe, partagé entre la colère, l’admiration, et une petite homophobie passagère.

Je suis donc parti dans la vie avec cette épée de Damoclès en permanence au dessus de la tête. Sécher. Comment ne pas sécher ? Mon Ayatollah du vagin m’avait laissé filer sans réponse. C’était sans doute une façon astucieuse de me maintenir en éveil.

Depuis plus de vingt ans, je lutte contre ma sécheresse annoncée en identifiant sans cesse celle qui m’entoure. Je traque la facilité, je repousse le prêt-à-penser, je lis, j’écoute et je m’épuise. Je m’épuise parce que le divertissement est tentant, parce que le raccourci nous fera toujours arriver plus vite, parce que le système qui me kidnappe 11 heures par jours, 250 jours par an, me laisse peu d’énergie pour lutter contre la bêtise et chasser le vulgaire.

Ne pas sécher.

Je ne sais pas ce qu’est devenu Mademoiselle Wersinger, mais je crois qu’elle écoute le printemps des idées avec attention. De sa retraite, je l’imagine sourire à une génération toute entière, bien que la vue de quelques zizis l’ait probablement découragé momentanément.

En début de semaine, le débonnaire Jean-François Fillion, animateur de radio sensible et raffiné de la Vieille Capitale, proposait, avec un de ses acolytes, de placer les carrés rouges dans des camps.

Pour éviter le qualificatif trop évocateur de camp de concentration, il prit la peine de préciser que le terrain serait spacieux et aéré, et que la clôture serait généreusement fournie. Écho morbide à Jean Charest, qui lui aussi veut les envoyer, loin, dans le Nord.

Il y a belle lurette que je ne me laisse plus émouvoir par Fillion et son fond de commerce odorant, d’autant plus que son vieux micro porte de moins en moins loin. Mais le mal est fait, et force est de reconnaître qu’il a mis toute une ville ou presque au diapason de son chant de haine.

Des milliers de personnes ordinaires, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, fort occupés eux-aussi 11 heures par jour et 250 jours par an, qui n’avaient pas eu la chance de croiser sur leur route une mademoiselle Wersinger, et qui avaient donc malheureusement ce terrible espace à offrir : du temps de trop longue sécheresse.

La boîte à chaussures

Tu sais, c’était correct. T’avais le droit d’être pour l’augmentation des frais de scolarité.

Peut-être même que t’avais de bons arguments. Peut-être même que tes calculs étaient justes, et que ta perspective économique faisait du sens. C’était correct parce que quand tu calculais, c’était pour le groupe, ta considération était sociale. Tu avais, au fond, le même projet que nous tous : assurer l’avenir et la qualité de l’éducation au Québec.

Tant que t’étais là c’était pas si mal. C’est certain qu’à ta vision pragmatique j’opposais ma vision plus humaniste et plus idéaliste. Tu le sais, j’ai toujours été moins près de mes sous que toi … Enfin, on discutait.

Et puis les choses se sont compliquées. La rue a rougit et s’est remplie de jeunesse insoupçonnée. La tienne repose au sous-sol dans une boîte à chaussures qui renferme quelques photos, beaucoup de folie, et tous tes espoirs.

Si au moins tu avais pu voir les beautés de mars et d’avril. Mais rompu au raisonnable, tu trouves les cris et les rêves bien immatures et improductifs. Et puis t’es arrivé en retard au boulot. C’est pas avec des chimères qu’on paie ses comptes. Que chacun fasse sa part. Et combien ça va nous coûter toutes ces manifestations ? Et de ressortir ta calculatrice, et de peser de plus en plus fort.

Quelques lectures choisies te confortent : ce ne sont que des enfants gâtés et confus, manipulés par une bande de révolutionnaires aux desseins sombres et anarchisants. Tu te familiarises avec les premiers gros mots et tu ne tardes pas à les faire tiens et rassurants. Communistes, violence, intimidation. Tu as rangé ta calculatrice avec ta patience, et tu veux mettre dans le tombeau de ta jeunesse une génération toute entière. Ton incompréhension a désormais laissé place à ta mauvaiseté. Hier tu ne les comprenais pas, aujourd’hui tu les détestes. Qu’elle y reste, en prison.

Cette jeunesse, moi je l’écoute respirer.

Est-ce qu’elle est maladroite ? Oui. Est-ce qu’elle est déraisonnable ? Assurément, elle est ivre. Ivre d’espoir. Des illusions ? Sans doute. Par pitié ne lui reproche pas de ne pas être adulte, c’est ce qui nous est arrivé de pire.

Le calme est condamné à revenir. D’ici là, accepte donc la belle invitation : va faire un tour au sous-sol, rouvre la boîte à chaussures.

Amir, ou chronique des petites haines ordinaires

Outre le casse-tête macabre laissé par Magnotta et les enveloppes de farine révolutionnaires éparpillées dans la ville, c’est bel et bien Amir Khadir qui a fait la manchette cette semaine. Arrêté et menotté à Québec lors d’une manifestation pacifiste mais illégale en vertu d’un règlement absurde, Amir a passé quelques heures dans l’autobus-prison du SPVQ, et bien plus à la une de nos médias. Du petit lait pour ses adversaires, d’autant plus que sa fille aussi défraiera la manchette un peu plus tard!

Adversaires politiques d’abord. Les membres du gouvernement n’ont pas manqué l’occasion de lui rentrer dedans, évoquant surtout la désobéissance civique, inacceptable à leur yeux pour un député. C’est de bonne guerre, c’est le jeu sain de la démocratie. Et notre Amir d’en rajouter trois louches, en se comparant tour à tour à Gandhi et Martin Luther King! Il est chiant Amir! Faut toujours qu’il en fasse trop! Et là pour le coup, il n’y est pas allé avec le dos de ses trois louches! Après la godasse sur le portrait de W.Bush, le voilà équipé d’une nouvelle casserole. Gueling-gueling pour longtemps.

Adversaires idéologiques maintenant. Khadir est l’emblème de la gauche au Québec, une gauche considérée comme radicale car plus facile à attaquer. Ainsi notre droite, si particulière, a décidé de l’affubler de qualificatifs qui font peur aux bourgeois : socialiste, communiste, islamiste. Les deux premiers, comme un écho vicieux et malhonnête aux heures sombres de l’URSS, de Cuba ou de la Chine, comme si la gauche y puisait ses racines sanguinolentes. On évitera soigneusement d’évoquer Mandela, Jaurès, Lévesque, Mitterrand, Lula, et même Luther King, oui. Amir c’est Staline, Marx ou Lenine, le couteau entre les dents. De bonne guerre aussi? Mettons.

Mais islamiste… accusation un peu curieuse pour un homme qui s’engagea auprès des étudiants iraniens contre le régime de l’Ayatollah Khomeiny. Curieuse accusation aussi pour un homme qui donne assez de liberté à sa fille au point de la ramasser plus souvent qu’à son tour dans le panier à salade.

Islamiste? Arabe, oui par exemple, et que le raccourci est tentant…

Adversaires politiques, adversaires idéologiques, à la mauvaise foi habile et grotesque, n’abusent pas de cette bonne guerre pour rien. Au bout de la chaine de l’excès de langage, il y a l’opinion publique. Et plus publique que jamais. De Facebook à Twitter, venez encore me parler de majorité silencieuse! La technologie a rompu le silence, et c’est une opinion hurlante qui n’en finit plus de donner son avis, et malheureusement plus souvent qu’autrement, de déverser sa médiocrité par le confort sans courage d’injures protégées par l’écran solaire d’Internet.

Ramassé pèle-mêle sur les médias sociaux : « Amir Khadir arrêté.. Tout d’un coup j’feel pour un shistaouk ». Aussi : « Qu’il retourne en Iran !! », « bin content…….méchant tawin ste tamoul là….. ». Encore : « Depuis le temps qu’il essayait sans succès. Il va pouvoir jouer au Martyre maintenant, comme un bon musulman! »

Et j’en passe, des centaines, et des plus salopes.

Ces vomissures honteuses constituent autant de voies de fait que d’incitations à la haine raciale, passibles de condamnations. Mais elles sont surtout l’expression de ces petites haines ordinaires que les idéologues se gardent bien de prononcer en public, tout en s’assurant de provoquer cet écho à l’odeur du dégoût. Et s’il vous prend d’interpeler un de ces salauds en lui signifiant que ses propos sont ceux de la haine et du racisme, il criera son offense et hurlera au complot communiste du Plateau.

Dommage qu’il faille le faire encore, et je crains malheureusement qu’il en soit toujours ainsi, mais il est de notre devoir d’hommes et de femmes civilisés de rappeler que le racisme n’est pas une opinion, mais que c’est un délit. Plus encore, il est un danger, et que ce danger fut et continue encore d’être mortel. Oui.

Dans les années 90, un dénommé Godwin a énoncé une loi qui porte son nom, qui dit que plus une discussion s’étire, particulièrement sur le web, plus la probabilité de l’évocation du nazisme ou d’Hitler s’approche de 1. Observation intéressante et probablement fondée en partie, mais qui porte en elle un mal pervers : la banalisation de la haine par l’évitement des récits de l’horreur du racisme. Or, ce sont bien des petites phrases anodines lancées en société, des petits dessins, des petites chroniques, multipliés à l’infini, admis et publiés dans la presse d’alors qui fertilisèrent le terreau de l’abomination nazie.

Amir, Rima et les autres aux cheveux plus foncés reçoivent chaque jour ces petites haines ordinaires, habilement orchestrées par des voies publiques que vous connaissez et que j’aurai l’élégance non fondée de ne pas nommer.

Ces petites haines ordinaires dont chaque auteur se défend avec indignation, mais qu’il répand, inconscient, comme les hontes de jadis.

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MàJ : J’ai commis une erreur, Amir Khadir est d’origine Iranienne, donc Perse, et non pas Arabe.