Le bruit des vagues, ou la terrible perversion des médias sociaux

Les médias sociaux, dont je fais usage comme tout le monde, sont probablement la pire invention humaine depuis l’emballage de La vache qui rit. En plus de révéler bien de nos médiocrités qui ne sont certes pas nouvelles mais dramatiquement amplifiées, ils nous confrontent à la perte de sens. Avez-vous déjà joué à ce petit jeu qui consiste à répéter à l’infini les mots piano et panier? Et que ce passe t’il? À force de répétition, les syllabes se mêlent, les sonorités s’enfargent, et rapidement on se surprend à prononcer pianier ou pano, et les mots perdent leur sens. On ne voit plus, ni l’instrument de musique, ni la corbeille, mais on n’entend plus que du bruit.

Prenons un exemple dans l’actualité récente:

Il y a quelques jours, la famille Pineault-Caron s’est présentée à la commission parlementaire sur le projet de loi 60, soit la fameuse charte sur la laïcité. Inutile de revenir sur les propos de la famille en question, rappelons simplement qu’ils étaient à la fois ravissants et éloquents de bêtise. Et à part un débranché persévérant en train d’essayer d’ouvrir une Vache qui rit depuis la semaine dernière, pas un Québécois, par le truchement des médias sociaux, n’a échappé à ce triste et délicieux spectacle.

S’en est donc suivi une traînée de poudre mêlant indignation et ricanement généralisés que la technologie désormais permet. Ce grand éclat de rire mêlé de découragement est rassurant car nous sommes encore en mesure de distinguer le bon grain de l’ivraie, ce qui est une bonne nouvelle. Sauf que dans la vie telle que nous la connaissions il y a peu encore, nous aurions ri au souper, depuis le fond d’une taverne, ou devant la machine à café, et l’affaire n’aurait fait que de petits bruits, ça et là, dans nos villages de bavardage respectifs et distincts.

Leibniz, il y a trois siècles, s’interrogeait à peu près comme ceci: une vague, une toute petite vague, une vaguelette, ne fait pas de bruit. Du moins, son bruit est imperceptible à nos oreilles. Alors comment se fait-il que l’accumulation de milliers, de millions de ces petits vagues muettes puissent créer un bruit aussi fracassant que celui de la mer? Il ne pouvait imaginer que nous gronderions un jour, tous ensemble, en même temps, dans un vacarme inédit.

La famille Pineault-Caron, quoi qu’ait été son propos, doit être, à l’heure qu’il est, recroquevillée en petite boule dans sa tanière, les mains sur les oreilles, à attendre la fin du tsunami. Je veux les rassurer: Pinault-Caron, Pinault Caron, Pinon-Carault… nous aurons bientôt oublié leur nom, nous aurons bientôt oublié leurs mots, et nous créerons bientôt d’autres bruyantes tempêtes, peu conscients des dégâts laissés et à venir.

C’est là toute la perversion de cette technologie qui nous permet d’hurler ensemble. Si notre réaction demeure saine face à la bêtise, nous ne maîtrisons pas la force de nos boucans accumulés. Et si les Pineault-Caron ont manqué de jugement, de savoir, ou d’ouverture, rien ne peut justifier l’accablement que nos indignations cumulées sur les médias sociaux produit.

Et comble de la perversion, parce que nous sommes des êtres sensibles, nous finissons par voir que ces additions de bruits dépassent l’entendement. Alors, nous développons, après le tapage par nous orchestré, une saine empathie pour la personne acculée, perdant ainsi de vue la situation initiale. On comprend que c’en est trop, qu’on ne peut pas lyncher ainsi sans fin, et qu’il faut s’arrêter.

Et c’est là que le sens meurt, que les mots de désintègrent, que tout se neutralise, et que l’injustice surgit. Les mots des Pineault-Caron étaient inacceptables, nous l’avons compris et nous l’avons dit, mais l’amplification de nos cris, en plus de les accabler au delà du raisonnable, a banalisé des propos déraisonnables

Les médias sociaux, si nous n’apprenons pas mieux à les maîtriser, créerons alors cette société désincarnée qui fait peu de cas du ménagement d’autrui, en même temps que lui échappent le sens des mots essentiels qui se disloqueront dans un tumulte incompréhensible au détriment de notre mémoire.

Pierrot, l’ensemble de l’oeuvre

Bonjour, bonne année. As-salâm ‘aleïkoum. Je sais, je suis en retard pour les voeux, mais je m’étais dit que je ne reviendrais seulement que quand on aurait fini de s’encharter le chignon. La semaine dernière j’ai failli venir chiller avec vous et les Pineault-Caron, mais finalement je préfère laisser les médecins se prononcer. À eux comme à vous, la santé surtout.

Lundi, j’ai failli sortir pour lécher les plaies de Lucian Bute, l’idole paralysée aux bras muets injectés de doute. Mais j’ai eu peur d’avoir la communauté haïtienne sur le dos en affirmant que c’est encore Froch qui l’a emporté samedi. À deux doigts de décréter que les Anglais sont tous des voyous, je me suis retenu l’abus, et je suis allé lire Foglia à la place, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps, convaincu qu’il avait lâché la charte depuis un boutte et qu’il avait un bon vieux fromage de son coin à me recommander.

Mais c’est dans la charte jusqu’au cou que j’ai retrouvé Pierrot le typographe ce matin, dans un texte intitulé le débat, un texte qui sentait aussi fort que les fromages de son coin.

Et Pépère la virgule, dans un récit noir et blanc légèrement sépia, de nous raconter encore son enfance antédiluvienne de fils d’immigrant digne et vaillant, parce que c’était dont mieux avant. Et de nous dire qu’en ce temps-là, un immigrant, c’était un invité, et qu’un invité, « c’est quelqu’un qui ferme sa gueule et qui dit merci ». Immédiatement j’ai remercié le ciel et les dieux de la chronique que Pierrot ne se soit pas imposé son propre dogme, lui qui la ramène toutes les semaines depuis des décennies sur une terre qui ne lui a pas dit « tais-toi » à la descente du bateau (les avions n’existaient pas encore).

Auto-protégé par un peu habile « je vais me faire traiter de raciste », Pèpère surenchérit:

« On a beau dire que le problème, c’est pas les musulmans… Un peu, quand même. Ce serait moins compliqué avec des Polonais et des Italiens. Le problème avec les musulmans, c’est qu’ils sont beaucoup plus musulmans que les chrétiens ne sont chrétiens. On a un Jean Tremblay à Saguenay. Ils ont 243 millions de Mohamed Tremblay un peu partout. »

Juste assez pour me faire sortir de mon hiver.

Est-ce que c’était raciste? Ça prendrait bien du temps, bien de la bière, et bien de la mauvaise foi pour en débattre, et on en déboucherait, à coup sûr, sur rien. Cependant, dans le climat actuel, une chose est certaine: c’était crétin, Pierrot. Une chance que j’ai lu mille et un textes magnifiques et humanistes de Foglia depuis 243 ans pour m’imposer ce constat sage je crois: Pépère a l’air de dieudonniser, mais je ne pense pas que ce soit très grave. Au pire il pineault-caronnise d’ennui, au mieux, du lit à la fenêtre, et puis du lit au fauteuil, il vieux-connise, rien de plus.

Je les aime moi les vieux. On leur doit beaucoup, et on leur rend si peu. L’an dernier, ma mamy de quatre-vingt sept ans est tombée, et  elle m’a foutu la trouille. J’avais écrit un petit texte sur elle, et vers la fin ça disait ça:

« Mamy, elle sent le pipi, mais elle a gagné la guerre. Mamy, elle a eu vingt ans, et des seins à faire perdre la raison. Mamy, dans ce monde devenu fou, elle tombe pour nous dire qu’aussi absurdes ou grandioses puissent être nos rêves, minables ou luxueuses nos maisons, idiotes ou rentables nos prétentions, jamais, jamais tout cela n’aurait existé sans elle. Et pour ça, juste pour ça, elle nous invite à venir faire un petit tour de temps en temps, histoire de voir si des fois, elle ne serait pas tombée. »

Salam Pépère, je vais continuer à venir faire mon tour de temps en temps.