Je t’aime bien l’abbé

Lettre à l’abbé Raymond Gravel

Je t’aime bien l’abbé. Tu vas me dire qu’il serait temps, et que c’est tout de même curieux comme on peut être aimé et chéri au temps béni des métastases. C’est vrai. Mais je t’aimais bien avant aussi, c’est juste que chez nous, ça se faisait pas dire ces choses là, je t’aime, je t’aime bien. Et encore moins à un curé, parce que vois-tu l’abbé, à la maison, ça ne priait guère, disons. Ou du moins, c’était un peu toujours la même prière qui revenait quand le père rentrait épuisé, sale et en colère, le soir: pendre le dernier des curés avec les tripes du dernier des patrons. Je viens de là l’abbé, je viens de loin. Je viens de loin pour te dire salut.

L’abbé, tu vas mourir. Je ne te cache pas que je suis un peu jaloux, ayant moi-même caressé l’espoir d’un départ romantique et prématuré il y a quelques années, espoir déçu par un cancer qui n’a pas tenu sa parole. Le tiens a l’air pas mal plus prometteur. Un autre qui veut bouffer du curé, comme disait le père.

Normalement, je t’aurais écris après que tu aies soufflé ta dernière chandelle, égrené ton dernier chapelet.  C’est comme ça qu’on fait, c’est plus convenable, et comme les morts sont tous des braves types, ça produit généralement de la bonne littérature, certes aux sentiments parfois dégoulinants, mais quand même terriblement distingués. Mais quand j’ai vu combien tu avais été sali et méprisé, tantôt par tes propres patrons, tantôt par des illuminés prêts à scolariser un zygote pré-pubère, je me suis dit que t’étais capable d’en prendre de l’amour, et que par ailleurs, quoi que tu en penses, j’ai bien peur que tu ne puisses lire les hommages qui fleuriront au premier matin sans toi. D’aucuns diront que tu veilles désormais sur nous, ça les rassurera, mais je crains plutôt que tu n’entendes plus vraiment nos prières.

Je le sais, j’ai pas la foi l’abbé. Je t’aurais vu toi, avec le père. Et puis tes patrons ne m’ont pas vraiment aidé, mettons. Mais je vais te faire une confidence: ça me manque parfois. La contemplation, l’espérance, l’amour éternel, ces trucs là. Alors, pour combler mon vide, j’ai embarqué dans une espèce de foi bon marché, une petite foi en l’humain, faute de mieux. Mais c’est une foi vaine qui donne trop peu d’espoir. Dieu, on dirait que c’est bien, mais je l’ai pas trouvé.

L’abbé, tu vas mourir. Tu fais bien, il se passe de drôles de trucs ici. On nous avait promis que le siècle serait spirituel ou ne serait pas, et regarde ce qu’on fait à la place; tes confrères nous ont trop tripoté, nous on accumule et on convoite, on s’engueule et on se hait, et notre Dieu à tous est désormais une pomme lumineuse. Les psychologues font la confesse, les églises font des condos, et la charte fait la bible.

Je vais m’ennuyer, l’abbé, de ta voix, de ta bonté et de tes doutes. Je vais m’ennuyer de ton intelligence et de ta liberté. Je t’aime bien l’abbé. Bon vent, prends ton temps encore si tu veux, mais lutte pas trop, t’as fait ta part.

Gab Roy et nous

Des doigts dans le cul sans précautions, des jeux de mots désespérants, une gratuite et graphique sordidité, heurtante, particulièrement à l’endroit d’une princesse blonde à l’image léchée avec attention et patience afin de faire de la jolie Mariloup Wolfe, icône familiale de l’écran plat, celle qu’on voudrait pour fille tant le gendre rapporté est idéal et non-fumeur.

Bref, la recette était parfaite pour mettre en émoi une province en plein chaos de redéfinition de la femme actuelle et idoine au sein de la société moderne et laïque, une province en train de lever les voiles, mais pas tout à fait prête au blasphème pour autant. Car c’est bien Marie dans Mariloup qu’on assassine, et sa beauté tout aussi diaphane qu’asexuée.

Pas plus qu’on ne tripota Lady Diana, on ne devait toucher à Mariloup parmi les anges.

Mais Gab Roy l’a fait. Inutile à mon sens de lui tirer des roches, il a déjà la gueule en sang, et c’est armés jusqu’au dents de notre morale émotive et indignée qu’on lui fait la passe, sans plus de mesure qu’on ne déboulonna jadis un Cantat ou un Turcotte de tristes mémoires.

Dès lors, difficile de ne pas s’intéresser… à nous. Cette incontinence émotive flagrante qui, lorsque nos valeurs essentielles sont attaquées de front, nous précipite dans une vindicte populaire sans retenue qui nous rend soudainement incapable de distinguer un meurtrier d’un verbomoteur en quête d’attention, n’est-elle pas finalement en tous points semblable au manque de retenue et de jugement d’un Gab Roy en recherche désespérée de lumière?

À propos de nous, encore. Nous, consommateurs hypocrites de sensations en tous genres, nous qui faisons exister ces non-événements que sont les histoires de culs faites et défaites des starlettes d’ici et d’ailleurs, nous qui ne boudions pas notre plaisir, hier encore, d’aller ricaner à l’occasion avec Gab Roy l’impertinent, le cabochon, derrière le confort discret de notre écran protecteur et garant de bonne moralité, nous qui avons fait exister ce jeune homme et ses élucubrations, ne sommes-nous pas un peu complices, dans notre soif de toujours plus, de ses débordements qu’on rejette aujourd’hui en vierges effarouchées?

Puis enfin, bien qu’il fasse le double de mon poids et que j’en tremble rien qu’à y penser, je me dois de le dire: outre les propos orduriers qui sont nécessité de commerce, Gab Roy écrit très mal. Tout cela est de piètre qualité, convenons-en. Connaissez-vous Pascal Henrard? Il écrit, ça et là, des petites perles dont je vous invite à vous faire des colliers. Il en est d’autres aussi. C’est là, à peu près au même endroit, sur notre écran, à quelques clics de nous. Et si nous pensons que la laideur des mots vaut tout ce vacarme, pourquoi ne pas gueuler à l’occasion, tout aussi fort, à la beauté, à la douceur, et au répit d’autres lectures?

La charte et le territoire

Dans le râle assourdissant entourant le projet de charte des valeurs québécoises, ce soudain intérêt pour le nous avait quelque chose d’à la fois étonnant, encourageant, mais finalement bien décevant.

L’an dernier, durant le printemps étudiant, en réponse à un nous qui disait que l’éducation était une valeur commune et que nous devrions la partager parce qu’elle profite à tous, c’est un jeconquérant qui s’est fait entendre, un je peu prompt au partage, protecteur de son dollar, parce que c’est nous qu’on paie. Un nous malmené, ridiculisé, une aspiration romantique et chevelue pour les uns, du bruit de crottés à déporter pour les autres.

Dans le triomphe du je dollarisé et comblé de certitudes, on comprenait alors que le nous, le bien et l’espace communs auraient de plus en plus la vie dure.

Pourtant, c’est bien du nous dont il est question dans cet automne affable mais moins arabe que de plus beaux printemps, et on aurait pu s’en réjouir s’il n’avait pas ce petit goût âpre d’unentre-nous rétrécit, méfiant et suspicieux, qui ressent le besoin de soudainement pisser aux quatre coins de son territoire incertain.

Un nous inquiet en quête de définition, perdu dans un pays qu’il voudrait maintenant sans chapeau, perdu dans un pays qu’il voudrait tout court peut-être. Un nouveau nous qui a sans doute jeté trop vite sa foi avec l’eau du bénitier, un nouveau nous qui a perdu le bonheur de vue et qui espère le retrouver en disposant vainement à la croisée de ses chemins, des épouvantails.

Le temps de fêtes arrive. Cette année, on l’appellera de nouveau Noël, comme une ultime affirmation de ce curieux nous. Le vacarme de l’automne aura fait long feu, vaincu par l’épuisement dans un combat sans vainqueur. Reviendra alors le temps béni du je, de ses plaisirs coupables et de ses bonheurs temporaires, et le dieu dollar, protégé de toute charte, viendra de nouveau exaucer pour un temps nos prières.

D’ici là on continuera à hurler un drôle de nous, méfiant, homogène, et sans sourire, et on continuera à pisser maladroitement aux quatre coins de notre territoire incertain.

Changer de dictature

Dimanche 6 octobre, 7:00am,  terrasse de l’hôtel Colina, quartier du Vedado, La Havane.

J’écris heureux mais gêné sur un clavier qui coûterait vingt-cinq mois de salaire à l’homme qui m’amène mon troisième café. J’écris heureux mais gêné à deux rues de chez Yoani Sànchez, la blogueuse dissidente, la journaliste sur écoute, qui doit redoubler d’imagination pour faire voyager chacun de ses mots, tandis que le régime la surveille. J’écris heureux mais gêné parce que j’ai, ce matin, un sentiment de liberté tel que mes doigts tremblent de joie confuse.

Désintoxication. La Havane est mon chalet, mon répit, mon pays sans magasin. Pause sur le progrès et ses enseignes aliénantes, pause sur la montre, pause sur l’efficacité. Porter la chemise et la barbe de la veille, ralentir dans le bordel bruyant et les échappements noirs de l’autobus en retard, aimer follement le chaos, changer de dictature. Joie indécente du gavé de passage, obscénité d’un homme libre au milieu du jamais facile: Yoani serait furieuse. Mais un autre matin, j’irai lui dire.

J’irai lui dire que je comprends de quoi elle veut se libérer, et libérer les siens. Je lui dirai que je les vois, les absurdités du régime qu’elle dénonce, que je les entends, les silences imposés, et qu’elle me révolte, cette détention en pauvreté. Mais j’irai aussi lui dire que ce qui l’attend, cet autre monde auquel elle aspire, le monde d’après Fidel, j’irai lui dire que ce monde-là sera tout aussi absurde et oppressant.

Demain, l’argent qui manque tant aujourd’hui, accompagnera la liberté. Demain, le Malecòn, si beau chaque soir plein de ses amoureux désoeuvrés se videra, vaincu par toutes les abondances, par tous les divertissements. Demain, les rêves de liberté ne seront plus que des rêves d’accumulation. Demain, une nouvelle propagande. Plus de révolution à chérir, mais des nouvelles illusions, des marques à adorer, des crédits à étouffer, des carrières à embrasser.

Demain moins de musique et moins de rêves, mais d’autres peines, d’autres pauvretés.

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Aux humains du Québec

Toute ma vie, je me suis battu pour l’égalité entre les hommes et les femmes de toutes origines et de toutes confessions et j’ai toujours pensé que si nous voulions garder cette égalité il fallait être vigilants. En ce moment le principe de l’égalité entre les peuples d’ici me semble compromis au nom d’une illusion de liberté de quelques uns. J’aimerais vous rappeler que nous avons depuis longtemps et encore de nos jours utilisé les étrangers dans le but de prospérer et de survivre, ce qui fit notre salut, et nous leur faisons l’affront aujourd’hui de vouloir les remettre à leur place, c’est-à-dire en dessous de nous.

Devant la perspective d’un retour en arrière je sens le besoin de prendre la parole. Je ne suis donc pas d’accord qu’il y ait une charte des valeurs québécoises – souvent appelée malhonnêtement la charte de la laïcité – ni que le gouvernement légifère. À ce propos, nous n’aurions jamais notre Québec tel qu’il est, nous serions un peuple qui n’enfante plus, un peuple en disparition si le gouvernement du temps n’avait pas ouvert ses portes pour notre survie à ceux que nous conspuons aujourd’hui. En ce temps-là, je me souviens, beaucoup d’hommes et même des femmes ne voulaient pas tendre leurs mains à ces nouveaux visages, et pourtant sans eux, où serions-nous aujourd’hui ?

Cette lettre n’est co-signée par aucune personnalité bruyante ou divertissante du petit écran, elle n’émane que de moi et de la liberté que j’ai de la revisiter et de la partager.

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La lettre originale de Janette Bertrand

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