David Lemieux sur le toit du monde

Les lumières du Madison Square Garden éclaireront bientôt les acteurs sans texte d’un spectacle sans compromis, et les caméras de tous les pays seront pointées vers la scène d’un théâtre pour pauvres et voyous. Tout a commencé dans les sous-sols un peu humides et puants de notre humanité, pourtant David Lemieux a rendez-vous samedi sur le toit du monde.

Quelques heures avant le tumulte, en se promenant dans les corridors hantés et silencieux de l’arène mythique, s’il est attentif, il entendra Louis, Hagler, Ali. Ils lui rappelleront que c’est ici que s’écrit la tragédie.

Golovkin est champion du monde depuis 2010, mais il casse des gueules depuis sa plus tendre enfance. Petit, ses deux frères pointaient quelqu’un dans la rue, ils lui disaient « attaque », et il attaquait. J’ai longuement observé son visage rond de nomade Mongol; il a sur les joues le cuir rosé de ceux qui ont vaincu le froid bleu des steppes eurasiennes, et dans les yeux une confiance enfantine et funeste, comme si le pire s’était déjà produit. Son sourire est franc, mais démodé. Ses deux frères sont morts à la guerre.

Dans les ruelles d’Ahuntsic, David ne valait guère mieux, et les mâchoires engourdies du quartier s’en souviennent encore. Il y distribuait son jab gratuitement, dès l’âge de neuf ans. Il avait le « diable au corps », dit Tremblay. J’ai longuement observé son visage fin et son regard maladroit; l’enfant turbulent s’y dissimule mal, et il ne retrouve vraiment sa liberté qu’entre quatre murs de cordes tendues. À Chomedey-sur-ennui, il n’a dû survivre à aucune guerre, mais l’Arménie et le Liban de sa mère sont dans chacun de ses coups de poings définitifs.

Lemieux contre Golovkin, c’est un combat reporté mille fois depuis l’enfance qui aura lieu samedi. Deux gamins, dont les ruelles parallèles ne devaient jamais se croiser, deux gamins vont s’affronter sans colère et sans peur dans un moment tragique et rare de vérité. Moi, je n’aurai d’yeux que pour David Lemieux évidemment, et je serai fébrile comme au bas d’un funambule. On ne manquera pas de ma rappeler la barbarie de ce théâtre-là, et je me défendrai à peine, avec Philonenko: oui la boxe est une fascination un peu honteuse, et oui je l’aime aussi fort que mon incapacité à expliquer la noblesse de cet instant-là. Je sais juste que c’est vrai, que c’est ici que s’écrit la tragédie.

La naissance de Vénus

botticellivenereLa Naissance de Vénus est une oeuvre majeure de la renaissance italienne peinte par Sandro Botticelli vers 1485. Le tableau est une représentation allégorique de la Vénus mythologique dans sa forme anadyomène (qui surgit des eaux), et le modèle qui a inspiré le peintre est Simonetta Vespucci, dont on disait qu’elle était la plus belle femme de son époque. Sa représentation est posthume puisqu’elle mourut de la tuberculose à l’âge de 23 ans, en 1476.

Femme de Marco Vespucci et maîtresse de Julien de Médicis, Simonetta n’était pas à proprement parlé une timide, malgré la pudeur factice illustrée par cette improbable chevelure dorée portée à l’essentiel dont on peut par ailleurs admirer la parfaite épilation au laser. Sur la gauche de la nymphe, à droite du tableau, on aperçoit une des filles de Zeus, dont le célibat devait son éternité à ses robes-sofa entièrement taillées dans le divan brut, tentant en vain de recouvrir la rouquine. À droite de Simonetta, Zéphir, accompagné comme toujours de son épouse possessive, dont l’insécurité chronique trouve son explication dans un nichon ridiculement petit et de bien trop longs orteils, en train de souffler discrètement pour empêcher la cousine de recouvrir la salope.

Si elle inspira de nombreux grands peintres (Botticelli, mais aussi Di Cosimo), la belle Simonetta, la « Sans Pareille », fut aussi la muse de nombreux poètes, dont Angelo Ambrogini qui, à l’instar de Botticelli, bandait violemment à la simple évocation de la belle de Florence. Pourtant, tel ne fut pas le cas d’Arthur Rimbaud qui, des siècles plus tard, dressa un portrait peu flatteur de la coquette à Julien, évoquant ainsi « des déficits assez mal ravaudés », un « col gras et gris », mais surtout concluant par ces terribles mots:

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus;
Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Si on peut saluer l’audace du jeune poète transformant en trois vers Vénus en boudin, on se doit pourtant de la disqualifier puisque c’est sur un derrière poilu et disgracieux, celui de Verlaine, que la tapette des Ardennes portera plus tard son dévolu, incapable d’apprécier quelconque doux et flasque cul. Il est d’ailleurs fort à parier que c’est aussi en traitant d’ulcère l’antre de Paul le barbu que le gamin se fit faire un trou de balle en juillet 1873 à Bruxelles.

Vénus, ou Simonetta la belle, fantasme triste du peintre maintenu puceau par des moines odorants et tyranniques, fut sauvée des flammes du bûcher des vanités par Botticelli lui-même. S’il ne peint plus jamais d’autres nus après, on raconte qu’il avait dissimulé celui-là dans son lit et que le soir venu, à la chandelle, il se faisait des petits guilis-guillis.