Les riches, les pauvres, et moi, et moi, et moi…

Je ne sais pas vous, mais moi j’adore mon année. Après tant de molles, ça nous en prenait une folle. Et si la fin du monde vient la conclure, ce sera sans regrets, quel spectacle, quel final! On va tous crever en décembre? D’accord, alors réglons nos comptes avant le grand incendie, notre consensus de légende agonisera avant nous! Affûtons nos lames, réveillons nos passions, déterrons nos chicanes, ressuscitons nos débats, pour mourir vivants, enfin!

L’automne colore à peine nos trottoirs que déjà on le sait: pas un duel ne sera oublié cette année. Rouges contre verts, Québec contre Montréal, Souveraineté contre Fédération, vieux contre jeunes, Radio X contre toute intelligence, Trudeau contre Brazeau (et contre toute intelligence aussi), un avion de chasse contre Radio-Canada, Lulu contre le PQ, la gauche contre la droite, une matraque contre ta mâchoire, Quebecor contre Bell et Astral, Anglos contre Francos… on raconte même que Brault et Martineau feraient chambre à part.

Et pour faire contre mauvaise fortune, bon coeur, on ne pouvait pas partir sans se rappeler au bon souvenir de nos riches et de nos pauvres, quand même. C’est chose faite, puisque le nouveau gouvernement a décidé de faire payer aux mieux nantis les frais de l’abolition de la taxe santé, ou un truc du genre. Juste assez pour reparler de juste part, juste assez pour s’énerver, pour se déchirer, encore. Décidément, quelle année!

Moi personnellement, j’aime bien les riches. Ils sentent bon, et leurs épouses font des dons au musée des beaux-arts, et parfois même elles y vont toute seule en Smart, ce qui égaie la ville. Ce qui me plait le plus chez les riches, c’est qu’ils n’ont pas de soucis d’argent. Enfin, plus précisément, qu’ils ne se soucient pas de l’argent. Dans un monde rompu au profit à tout prix, je trouve que le riche est d’une élégance rare. En effet, tandis que le commun des mortels n’a d’intention que l’accumulation, le riche, lui, n’a de cesse que de se départir de son argent. Parfois même jusqu’en Suisse. Non seulement il a la grâce de ce détachement matériel, mais en plus il a ce raffinement de ne pas encombrer le métro le matin, qui l’est déjà assez comme ça.

En revanche, je dois être fort honnête, je n’aime pas les pauvres. Certains ne sentent pas très bon. Mais comme en toute chose malheur est bon, ils n’encombrent pas non plus le métro le matin, puisqu’ils n’ont pas d’emploi. Par ailleurs, le pauvre manque cruellement de savoir-vivre. Tandis que l’épouse du riche se fend en quatre pour faire venir un Gauguin au musée, et Dieu sait que ça n’est pas sans sacrifice, le pauvre passe devant sans s’arrêter, avec l’ignorance du mépris. Le pauvre n’a pas la reconnaissance de l’effort, et pour tout dire, pas l’ombre d’une noblesse. Mais pour navrante que soit sa vie, pires sont ses rêves. Contrairement au riche, le pauvre ne rêve que d’argent. Dans un monde rompu au profit à tout prix, il est au coeur de la dérive néo-libérale. Alors qu’on s’évertue à conspuer sans réfléchir celui qui spécule honnêtement en bourse, on oublie que celui que l’argent obnubile jusqu’à l’en réveiller la nuit, c’est bien lui, le pauvre, insensible et vénal.

Moi, je suis de la classe moyenne, j’ai pas réussi à faire mieux, puisque mes parents étaient pauvres. Je sens le Axe, comme tout le monde dans le métro. Dans la société, on va se dire les vraies affaires, c’est moi qui souffre. Tout le monde le sait, la classe moyenne étouffe. Quand j’ai fini de payer mon hypothèque, mon Costco, mon électricité, mon câble, le collège du grand, les deux voitures, la garderie du petit, mon chalet plein de mouches, l’électricité et le câble du chalet plein de mouches, la nouvelle salle de bain et l’électrolyse de Monique, deux ou trois restos, un peu de vin, les passes de ski, les cartes de crédit, le piano du petit… et bien rendu à Noël, j’en arrache.

Une chance que je vais dans le Sud deux fois par an, sinon je crois vraiment que je m’indignerais.

Soûlitude

Les Chimbas vivent tout nus, entre la Namibie et l’Angola, et se teignent la peau en rouge. Leurs maisons sont faites de feuilles de palmiers et d’excréments de vache, et leur préoccupation principale réside dans le dialogue éternel et sacré avec les morts… peu de points communs donc avec Outremont.

Pourtant: les hommes font pipi debout, les femmes se mettent, au mieux de leur possible, jolies, afin d’être fécondées, et nul doute qu’elles aiment leurs enfants. Leurs os sont blancs, ils ont deux fois cinq orteils, mais c’est là que s’arrête toute comparaison. Rien d’autre ne relie le Chimba de l’Outremontais, et ces deux là s’ignorent dans une intensité durable. Il est d’ailleurs amusant de constater que le Chimba n’utilise, ni le Bixi, ni l’iPad. C’est peu dire quant au gouffre qui les sépare.

Nos semaines doivent être terriblement inhumaines pour que, non content d’avoir atteint, à bout de bras, le vendredi soir, nous soyons contraints d’y ajouter, après le métro, autant de vin. Je crois que Dieu – ou la Nature, noircissez la case de votre choix – nous a construit bien carencés.

Ami d’Outremont, de Gaspé ou d’Hérouxville, je veux te rassurer tout de suite: le Chimba se défonce la gueule autant que toi. D’accord, ce n’est peut-être pas au petit rosé de Provence ou à la coke de la rue St-Laurent, mais je te le jure, même s’il ne sait pas qu’on est vendredi, il part de temps en temps, il a trouvé comment, il en a besoin.

De la Namibie à Bruxelles, de la Mongolie rurale et nomade aux confins du Cap Nord, des bordels de Bornéo aux limites du Plateau Mont-Royal, à boire, à fumer, à s’injecter ou à prier, il est là notre lien fragile, elle est là notre curieuse carence: l’humanité toute entière, excepté quelques sportifs ou quelques pieux égarés, s’intoxique.

Comme si notre âme était née trop petite.

On s’en est déjà parlé, mon père est mort. Il n’était pas très beau dans son cercueil. Pour dire la vérité, j’ai apprécié quand la quatrième planche a été vissée. Même Kadhafi ce printemps, à même le sol, pourtant bien plus vieux et bien moins aimable, faisait meilleure figure. Mon père est mort d’alcool, ce que je ne lui reproche pas.  Ça aurait même pu être romantique. J’aime l’imaginer un peu dandy, poivrot mais bien mis, ou pourquoi pas bluesman, un peu pouilleux mais génial. Mais en vrai rien de tout ça. Il n’a fait, tout au long de sa vie, que combler laborieusement une espèce de manque chimique, non élucidé, qui fit de lui un génie de rien, et qui me fit admirer tout bonhomme autre que lui.

J’aurais aimé qu’il soit Antonin Artaud, qu’il soit Rimbaud, qu’il soit poète. Que son vin serve. Mais le malheur était seul et la création n’est jamais venue.

Ami d’Outremont, de Gaspé ou d’Hérouxville, je sais que je ne te raconte pas une histoire inédite. Elle est celle de ton oncle, de ton frère, de ton père, de la tienne aussi peut-être. Plus confiants, plus courageux, moins timides, meilleurs amants, ou croyant l’être, plus créatifs, plus généreux, plus souriants, ou bien minables, ou bien malades, ou même violents, impuissants ou ridicules… en dépit de nos oncles, de nos démons  ou de nos migraines, en dépit de nos souffrances d’enfant, que nous soyons puissants ou misérables, vendredi soir ou pas, nous buvons, quoi qu’il en soit, quoi qu’il en fut.

De l’autre côté du désert, à la vérité, je ne sais pas ce que le Chimba fuit quand il s’étourdit. Son monde me paraît moins sordide, plus simple, plus harmonieux. Il n’a de montre que le soleil, et l’Iphone 5 ne l’inquiète pas.

De la Namibie à Outremont, de Gaspé à la Mongolie, curieuse faiblesse de notre humanité.

Comme si notre âme était née trop petite.

Occupy: le retour des romantiques

On fête cette semaine le premier anniversaire d’Occupy Wall Street. Le mouvement, qui visait à dénoncer les abus du capitalisme financier, s’inscrivait dans la lignée du mouvement espagnol des Indignados de mai 2011, lui même influencé par le Printemps arabe.

Cet automne d’éveil, amorcé à New York, devait rapidement s’étendre à plus de 900 villes dans le monde dès les premiers jours d’octobre, avec des manifestations monstres de plusieurs centaines de milliers de personnes, comme à Rome ou à Madrid.

À Montréal, c’est à la mi-octobre que le mouvement s’installe au Square Victoria,  renommé pour l’occasion la Place du Peuple, sous le regard ahuri des trentenaires dorés et encravatés du quartier des affaires, avec des souliers un peu pointus. Câlins, Yoga, dessin, couture et bavardages, on sourit quand on passe là, entre la tour de la Bourse et le Centre du Commerce Mondial.

Du camp des crottés émergent mille revendications, le campeur hirsute est difficile à cerner. Contre les inégalités sociales, pour le développement durable, contre les répressions policières, pour la sauvegarde de la planète, contre la finance vorace, pour la paix au Vietnam…

Vaincus fin novembre par l’hiver et l’incompréhension, les scouts ont décampé, aidés dans leur démontage par le coup de main généreux et solidaire du SPVM.

En dépit de l’ampleur du phénomène et de soutiens significatifs et inattendus (les prix Nobel d’économie Stiglitz et Krugman, Ahmed Maher, des parlementaires démocrates américains, Michael Moore, Ron Paul, Chomsky, le milliardaire Soros…), nombre d’observateurs se sont entendus sur le flou du mouvement, et particulièrement sur le flou de ses revendications. D’aucuns d’ailleurs considèrent Occupy comme une aspiration romantique aujourd’hui morte et enterrée.

C’est vrai que les doléances étaient confuses (quand il y en avait) et que si on en devinait l’intention, on devinait mal à qui étaient adressés tous ces messages, lancés au ciel avec enthousiasme. Et pour cause… Quand le méchant est premier ministre, qu’on connait son visage, qu’on sait où il habite, et qu’il prend une décision injuste, c’est simple: on s’en va lui parler. Ça prend un printemps s’il le faut, ça pique les yeux, ça fait mal aux côtes, mais on finit par se faire entendre et on le renvoie à ses pantoufles.

Mais le système? C’est qui le système? Quel est son visage? Où habite-t-il? C’est qui le con qui augmente le prix de l’essence? C’est qui le voleur qui pille le sous-sol en Amérique du Sud? C’est qui le criminel qui spécule sur le blé ou le riz et qui fait crever un enfant de moins de dix ans toutes les cinq secondes? C’est flou Occupy? Évidemment, comment pourrait-il en être autrement? C’est flou contre flou, Anonymous contre Anonymous.

L’indignation qui s’est manifestée en 2011 n’est pas une aspiration romantique. C’est un pouls. Le pouls d’une humanité qui sent que la course folle au profit est un non-sens, qu’elle n’est pas source de bonheur, qu’elle assassine air, arbres et enfants, et finalement qu’elle ne profitera bientôt plus à personne.

À quoi sert Occupy? À nous maintenir en éveil et attentif. À nous inviter à écouter ce pouls-là battre, le pouls de notre existence collective.

Floue l’indignation? De moins en moins je crois. La folie de notre système est de plus en plus admise, et la nécessité d’une prise de conscience collective s’installe doucement dans nos esprits. La décroissance n’est plus une utopie chevelue, elle est entrée dans les universités, et les experts économiques la considèrent avec plus d’attention que jamais. Non pas par romantisme, mais par nécessité. Et il est raisonnable de penser que le mouvement mondial des Indignés a permis cet éveil là, comme il est raisonnable de penser que le printemps québécois y a pris ses sources de vigueur.

Le 13 octobre prochain, le mouvement Occupy sera célébré dans le cadre d’une journée mondiale des Indignés, et semble-t-il qu’on y tapera de la casserole sur tous les continents. Et les nantis et satisfaits ricaneront à nouveau, comblés de leurs certitudes.

D’ici là, on regardera les millions se chicaner avec les milliards, aux alentours du Centre Bell, un petit sourire aux lèvres, nous aussi.

Je sais que vous pleurerez

Hier je suis allé au théâtre. La sagesse des abeilles de Michel Onfray, un récit philosophique qui met en scène des abeilles. Oui, 20,000 vraies et grouillantes abeilles, uniques comédiennes sur les planches, pour nous inviter à une réflexion sur notre rapport au vivant, sur notre rapport à la mort, sur notre rapport au cosmos… Une heure de philosophie pure, dense, exigeante.

Une heure assez rare pour réaliser que la philosophie, à l’instar des abeilles, est en voie d’extinction.

Le lendemain, comme après un bon match, comme après un bon film, comme après un bon show, j’avais juste envie de partager ma soirée, d’en parler, avec les amis, les collègues.

Mamma mia…

Déjà la veille j’avais eu la mauvaise idée de parler d’un opéra que j’aime. Un opéra! Blagues sur les vieux, blagues sur les églises, blagues sur les dimanches, blagues sur Outremont, blagues satisfaites. Pourtant je suis nul en opéra. J’y connais rien, je ne suis pas capable d’en nommer cinq. Celui-là il me touche, qu’est-ce que tu veux que je te dise.

Pour aggraver mon cas, il se trouve que je suis un lecteur de la revue littéraire L’Inconvénient. Ça, ça reste entre nous par exemple, je n’en ai pas parlé aux copains, je la lis en cachette, je veux pas finir tout seul. Le prochain numéro, à paraître cet automne,  traitera de ce sujet : L’anti-intellectualisme au Québec. Le petit texte qui l’annonce s’Interroge: « Ne s’agit-il pas d’un aspect même de l’identité québécoise, comme si la vie de la pensée représentait pour celle-ci une forme d’antagonisme ou de menace ? ».

Dès les premières minutes de mon récit enthousiaste de mon heure passée avec les abeilles philosophiques d’Onfray, et en dépit de l’excellent niveau d’études de mes camarades de jeu, je devais réaliser que si je ne faisais pas volte face rapidement, je deviendrais vite la risée du plancher. Et parce que, comme l’abeille, je suis un gars d’essaim et que tout seul je ne vaux rien, j’ai dû réagir vite. Prout prout, blagues de fesses, rappel de mes origines ouvrières, commentaire éclairé sur le iPhone 5, intérêt majeur à la météo, colère convenue sur le prix de l’essence, je déploie de toutes mes forces mon kit de survie sociale pour ne pas crever tout seul.

Pourtant, je le jure, je ne suis pas un intellectuel. Demandez à ma blonde, elle vous dira combien je suis animal et organique.

Je le jure parce que c’est vrai. Je suis peu érudit. J’ai quitté hier soir, à la période de questions au metteur au scène. Des mots trop compliqués, des gens trop sophistiqués, et puis j’avais envie de pipi. L’Inconvénient dira sans doute que je souffre du mal de son prochain numéro, que je me défends du théâtre ou de l’opéra comme d’une honte annoncée. Pourtant, je ne peux avouer qu’un intellectualisme amateur, voire accidentel. Mon quotidien ne porte pas un foulard délicatement noué dans ma chemise ouverte et immaculée, mon quotidien est fait d’idées et de mots simples, mon quotidien vibre plus au rythme de Manu Chao que de Bizet, mon quotidien écrit des petites chroniques innocentes bien loin de Michel Onfray… Et pourtant…

Et pourtant, chaque incursion dans le pays ennemi des arts et des lettres, aussi rare et naïve soit-elle, me vaut son pesant de ricanements. Pourquoi ? J’attends avec impatience le prochain numéro de L’Inconvénient, parce que moi je ne sais pas.

Moi je n’aime que la beauté. Je la recherche partout. Parfois, elle va sortir d’un opéra, d’un roman, d’un sein, d’une voix, d’un paysage, d’une odeur, d’une pensée, d’un regard ou d’un sourire. Je ne suis pas capable d’y voir ni snobisme ni honte, mais je sais que je dois filtrer mes émotions, et privilégier Madonna et le Cirque du Soleil. Ne m’en déplaise, c’est une question de survie.

Les abeilles, du peu que je sais, sont intimement liées à nous. Et la menace de leur disparition augurerait de notre propre trépas, parce qu’elles jouent un rôle majeur dans la pollinisation de nombre de légumes, fruits et céréales, indispensables à notre existence. La science le crie, la philosophie use de poésie pour nous en avertir, mais le bruit de Madonna nous assourdit, et la lumière du Cirque du Soleil nous éblouit.

Je n’ai pas tout compris au texte d’Onfray, pas plus que je ne comprends l’Italien de mon opéra. Mais je ressens au plus profond de moi, malgré vos taquineries, qu’on ne survivra, ni aux abeilles, ni à l’art méprisé. Ma contribution est trop faible, vos rires sont trop forts, mais on jouera Albinoni à mon enterrement, et je sais que vous pleurerez.

Un tapis rouge à la violence

L’attentat du Metropolis nous fige d’incompréhension et vient nous confronter dans nos croyances, celles que nous avons de vivre dans une société moderne et civilisée dans laquelle la violence n’est qu’exception, et le bien, le poumon de toutes nos respirations.

Pour nous conforter dans cette idée, l’auteur des tirs nous sera présenté rapidement comme un déséquilibré, ce qui aura pour vertu non seulement de nous rassurer, en dépit de nos pillules, sur notre propre santé mentale, mais surtout de nous blanchir et d’exclure toute responsabilité collective comme possiblité originelle à un tel geste.

Et l’enquète confirmera probablement le tout: l’homme au AK-47 et à la robe de chambre était un illuminé, il a agit seul, son crime n’a pas été commandité par quelconque organisation ou mouvement, c’est un cinglé qui n’est signifiant de rien, sinon de sa propre folie.

L’enregistrement vidéo de l’arrestation du tireur ne peut que valider ce constat; le gros défroqué confus et ridicule qu’on a embarqué dans la voiture du SPVM nous fait plus penser à un échappé de Louis H. Lafontaine qu’à un combattant de haute lutte.

Pourtant, aussi incohérent qu’ait pu nous paraitre cet individu, c’est bien un geste de violence alimenté par la haine qu’il a posé ce soir là. Lors de son arrestation, il a baragouiné que les anglais se réveillaient. Propos sans grande valeur vu l’état du bonhomme, mais il demeure que cela a été le moteur de son projet, ou en tout cas sa justification.

Et l’on se doit d’évoquer ces haines qui larvent notre ordinaire et qui prennent place sans scrupules sur la voie publique par le biais de distorsions insidieuses déversées sur les multiples canaux que composent notre brouhaha quotidien. Voyez comme on traite les musulmans sur les tribunes populaires. Voyez comme on a changé un symbole de mobilisation étudiante en symbole quasi-terroriste en y associant de façon fallacieuse les mots « violence » et « intimidation ». Voyez comme la souveraineté du Québec, projet de liberté et d’espoir d’unir un peuple autour de sa culture, a habilement été salie au point d’être considérée comme une peste brune annoncée par bon nombre. Écoutez les radios-poubelles et leur flot ininterrompu d’agressivités haineuses tous azimuts.

Plutôt que de se contenter d’exprimer une opinion, il est aujourd’hui essentiel de discréditer celle qu’on ne partage pas, et si possible avec fracas. On passe alors du désaccord à une forme empirique du dénigrement dont le seul but est d’obtenir un écho et quelques secondes d’attention dans le tintamare incessant des convictions débridées. Et de ne pas hésiter à faire d’un simple point de vue, une haine en devenir, une haine en partage.

Quand jadis la raison dérapait et flirtait avec l’inacceptable, c’était du fond de la taverne, et la bêtise avait un écho bien limité. Désormais, la moindre éructation bénéficie, du fait des technologies, d’une exposition incomparable. Dans ce flot irréfléchi de verbiages et de palabres, la haine, diluée, prend sa place sans tabou et avec trop grande facilité. Comme par exemple cet individu qui, à peine les coups de feu tirés au Metropolis, signale sur les réseaux sociaux, sans doute très fier de son coup, que «Les bons assassins sont difficiles à trouver, ces jours-ci». Certes il sera rapidement retracé, identifié et même congédié par son employeur, mais le mot, obscène, a été distribué à tous, en toute liberté, jusqu’à la une des grands médias.

La plupart d’entre nous n’en feront rien, bien sûr, de ces haines ordinaires, ou bien prendront soin de mettre en évidence l’inacceptable, et de le dénoncer. Et c’est là qu’est notre responsabilité: ensemble et avec force, refuser toute forme de diabolisation intentionnée et injustifiée.

La souveraineté est un projet de société, une aspiration, à laquelle on adhère ou pas. C’est un débat d’idées, civilisé, que rien ne justifie d’ériger en haine. Parce que la haine, c’est un tapis rouge déroulé sous les pieds de la violence.