Les experts-psychiatres en charge d’évaluer le cas d’Anders Behring Breivik, l’activiste d’extrême-droite responsable de la tuerie du 22 juillet dernier en Norvège, viennent de conclure que l’auteur de cette effroyable attaque est irresponsable pénalement. Cela signifie qu’il est éligible à un internement, et non à la prison. Immense polémique en Norvège, et même au delà. Chez nous, le sujet vient raviver les passions nées autour de l’affaire Turcotte.
D’abord il est important de préciser que je n’ai aucune qualification en droit, et par conséquent je ne vais aborder ici que ma simple propre perception. D’ailleurs si des spécialistes lisent ces lignes, je les invite à continuer la discussion et à l’enrichir.
Comme souvent, mais particulièrement cette année, nos émotions sont sollicitées par l’actualité judiciaire, et particulièrement par l’idée que l’on se fait du droit et de la justice. Turcotte, Cantat, les cyber-prédateurs, etc., les exemples sont nombreux, et tout aussi fascinants que complexes.
Et je trouve que nos réactions collectives sont très saines : comment ne pas s’indigner devant la mort violente d’un enfant, devant la mort violente d’une femme, devant la menace pédophile ou le carnage en Norvège ? C’est répugnant, c’est révoltant et l’envie de hurler est légitime.
Pourtant il faut retrouver la raison quand le temps est venu de rendre justice. Ravaler sa peine, ravaler sa rage.
Ce matin, La Clique du Plateau, dont je suis un fervent lecteur, évoquait la décision en Norvège, et faisait justement le parallèle avec l’affaire Turcotte : « On pensait que les 11 membres du jury sur le procès de Guy Turcotte avait atteint un niveau extrème de stupidité, mais non il y a encore pire, en Norvège! ». Et cette curieuse mise en garde : « Hâte de voir ce que nos bons chroniqueurs qui essayaient de défendre Turcotte vont maintenant nous sortir sur Breivik! ». Personnellement, je n’ai pas lu une seule chronique sur l’affaire Turcotte où l’on « défendait » l’accusé, il est indéfendable. Nos émotions sont si fortes que dans de genre d’histoire d’horreur, celui qui accepte la complexité de la justice est tout de suite accusé de « défendre ». Un peu comme Georges Bush en 2001 : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». L’Histoire a démontré que c’était un peu plus complexe que ça.
Personnellement, me faire confirmer par des experts que Turcotte ou Breivik sont des cinglés, ça a plutôt tendance à me rassurer. Grande serait mon inquiétude d’apprendre qu’ils sont normaux.
De là, on fait quoi avec des cinglés ? On les présente, devant un tribunal, devant une justice faite de gens normaux, qui vont s’épuiser à comprendre et juger l’incompréhensible ? Qu’est-ce que tu veux comprendre d’un type qui vient de flinguer 77 personnes ? En tant que juge, juré, en tant que personne normale, comment veux-tu rendre la justice ? Ah bien sûr on peut laisser remonter nos émotions primaires et le lyncher en public, pour assouvir notre colère. Mais comme je le disais récemment à propos des cyber-préadateurs : « Je veux continuer à vivre dans un monde civilisé qui, par ses structures, de police et de justice, va me permettre de contrôler mes instincts de vengeance. »
Alors oui, aussi révoltant que cela puisse paraître, la justice doit continuer de se déclarer incompétente devant ces cas qui nous dépassent tous.
Cette irresponsabilité pénale ne soulage pas notre colère, au contraire elle a tendance à l’amplifier, parce que nous avons ce sentiment insupportable de clémence. Mais elle répond pourtant à une réalité simple : la folie ne peut être jugée par les hommes de loi, elle est bien trop subjective et impénétrable.
Notre devoir, en tant que peuple, est de s’assurer que la justice des hommes demeure sereine et loin de nos paniques émotives, tout en garantissant la sécurité des nôtres. Parce que tout simplement c’est cela qui garantit notre démocratie.