Quand Guy A. sert la soupe à Duhaime

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Je ne regarde Tout le monde en parle que très rarement. Pas parce que je suis sur TVA, rassurez-vous. Simplement parce que j’éprouve, quand je le regarde, toujours ce même sentiment de gâchis.  

Guy A. Lepage a dans les mains une poule miraculeuse de laquelle il ne réussit pour ainsi dire jamais à faire sortir l’oeuf en or. Tout le monde en parle, c’est une Formule 1 sur Décarie le lundi à 8:00 : ça sert à rien.

J’ai tellement aimé Ardisson. Je l’avoue, mon deuil du mardi soir sur TV5 n’est pas encore fait. Ardisson savait qu’il avait un Stradivarius entre les mains, et il le faisait sonner comme Menuhin. Dieu que je m’ennuie de ces trois heures là. Des écrivains, des philosophes, des criminels, des putes, des prix Nobel, la droite, la gauche, le monde … mais on se disait les vraies affaires, pour reprendre cette expression que je déteste tant. Ardisson avait des couilles, autre expression détestable. Pour mémoire, allez consulter ses archives, ça fait du bien.

Les vraies questions étaient posées, et la soupe n’était servie à personne. Tu étais invité ? tu allais être confronté. Tu avais tenu des propos antisémites la veille ? On allait en parler, franchement. Ton dernier livre était bâclé ? tu allais le savoir. Tu t’étais comporté en gros crétin ? On y revenait, et rien n’était évité, surtout pas de complaisance.

J’ai été ravi quand Guy A. a repris le concept. Ça n’a pas duré. Certes il avait annoncé la couleur, moins de nichons, et une saveur plus québécoise. Je ne savais pas que ce serait à ce point.

Je déteste Duhaime, ce n’est pas un secret. C’est une détestation intellectuelle et idéologique. Pourtant j’étais content qu’il soit invité, et Guy A. a bien fait. Ardisson reprenait souvent cette citation : « Je ne partage pas tes idées, mais je suis prêt à mourir pour que tu puisses continuer à les exprimer librement ». Un peu lyrique certes, on est en France … mais j’adhère à ce principe, sain.

Quel Duhaime a reçu Guy A. dimanche ? il ne fallait pas être né de la cuisse de Jupiter pour vite comprendre que le beau Éric, au regard si profond, était là en opération de communication et de séduction des masses, gommant toute imperfection, arrondissant tous les angles. Un Duhaime au Photoshop, bien précautionneux de ne pas mettre de l’avant son pain quotidien : le mépris, la médiocrité et la malhonnêteté intellectuelle.

Dès la première minute d’entrevue, on savait qu’il était en mode séduction. Et c’est là que je pleure Ardisson aussi fort que je pleure Lepage. Mon effondrement au regret de l’un, ma consternation à la complaisante complicité de l’autre.

C’était le temps, il était là. L’interpeler sur son populisme nauséabond, réducteur, méprisant, malhonnête, insultant le moindre cerveau normalement constitué. L’interpeler sur sa vision du monde, l’interpeler sur la loi du plus fort, l’interpeler sur son rejet de l’autre, l’interpeler sur l’avenir de Radio-Canada, main dans laquelle il mange mais main qu’il est prêt à couper demain, l’interpeler sur l’étranger, sur le petit, le faible …

L’interpeler, juste l’interpeler …

Rien de tout cela. Ricanements, émerveillement devant une idée stupide, juste parce qu’elle est exprimée clairement. Évidemment que l’idée est exprimée clairement, elle a été évacuée de toute subtilité, de toute nuance, de toute réflexion ! Évidemment que c’est simple : c’est simpliste.

Guy A. échoue dramatiquement à Tout le monde en parle. L’essentiel est évité avec précaution, et on sert une soupe tristement tiède à tous.

Guy A. Lepage sut en d’autres temps et en d’autres lieux, agiter les consciences et réveiller notre esprit critique, avec bonheur.

Il est désormais le complice fatigué et usé de l’ignorance confortable.

Le p’tit Gilles

D’abord, petit rappel, un peu gênant : le Québec n’est pas un pays. Ben non. Malgré près de 8 millions d’habitants, une superficie de plus de 1.5 millions de km2, des ressources naturelles illimitées, une langue, une culture, des artistes et du pâté chinois, le Québec n’est qu’une province d’une pays, mais pas un pays. Et mon ami belge de se taper sur les cuisses : Nous, avec trois fois moins, on est à la veille de s’en faire un deuxième, de pays !

Il m’emmerde le belge, mais je vais quand même prendre le temps de lui expliquer. D’abord le gros (la bière, belge), je suis sûr que tu ne te rappelles même pas comment vous êtes devenu un pays. C’était peut-être du temps où c’était plus facile. Et peut-être même que vous avez été aidé.

Nous notre problème, c’est qu’on a pas de héros. En vrai, on en a eu un, c’était Lévesque. Il avait fait un beau rêve. Mais on l’a pas suivi. Tu comprends, tu peux pas faire la révolution tout seul. Or nous, ici, juste pour garder notre langue, on nous a appris le consensus. Pour survivre, surtout ne pas se déchirer. Quand lui était prêt, nous on l’était pas. On aurait pu aller au bout du monde avec lui, il était fort, intelligent, visionnaire. On a eu peur.

Ça fait peur la révolution. Et il faut faire la révolution pour faire un pays. Nous, on est trop tranquille. D’aucuns prétendent que c’est pas vrai, et qu’on a déjà fait la révolution. Tranquille justement. Mais tu sais quoi ? C’est une illusion. Les révolutions tranquilles n’existent pas, la révolution tranquille n’a jamais existé. Nous n’avons fait que suivre une vague naturelle d’émancipation de l’Occident, partie de San Francisco et de Paris, mais sûrement pas de Montréal. Qu’est-ce que tu veux, on se refait pas.

Bref, on a manqué René, et là on a Pauline.

Pauline poursuit le même projet que René, mais pas le même rêve. Pauline, mettons que j’en ai connu des plus révolutionnaires. Faire la révolution, c’est être prêt à renoncer à tout ce qu’on a, au nom d’un idéal, d’une vision. C’est faire embarquer son monde dans son rêve. Mais d’arrogants châteaux en orgueilleuses ambitions, déjà qu’on a pas la révolution dans l’épiderme, tu comprends que la confiance n’est pas là. On ira pas, et on ira pas, avec Pauline.

En même temps, l’idée ne meurt pas, et on le cherche en vain notre Che Guevara, dès fois qu’il nous stimulerait l’envie d’avenir.

Après Pauline, pour nous remonter le moral, ça nous aurait pris du costaud. Juste pour repartir la pompe à rêves. À ceux, comme moi, qui n’ont pas cru en Pauline, on leur a lancé la roche friable du sexisme. Débats inutiles et stériles, car on sait au fond de nous qu’on embarquerait demain avec Evita Peron, avec Indira Gandhi, avec Benazir Bhutto.

Peron, Gandhi, Bhutto, Mandela, Havel … c’est ça rêver d’avenir. Même un Obama, ça nous aurait fait du bien.

En attendant, on s’occupe comme on peut. On divague orange, on caquette à l’occasion.

Et qui voilà ? Le p’tit Gilles.

La révolution en brushing. Fallait-il qu’on l’on soit du petit Québec (celui à pâte molle) pour y avoir cru ne serait-ce qu’une seconde ! Le p’tit Gilles, la douceur et la gentillesse incarnées, le gendre idéal. Attendrissant et candide, toujours bien mis, toujours propre. Le p’tit Gilles ne veut jamais froisser personne. Ainsi, il se présente régulièrement à des élections qu’il ne peut pas gagner. Pas de chicane. Mais quand il perd trop fort, il devient tout triste, et il s’en va.  Quand il n’est plus triste, il se remet du bleu dans le cheveu, et il revient. Mais à chaque fois Pauline le renvoie à la maison. Ouste Gillou ! Et il repart sans insister, la tête basse et le menton tremblant.

Le p’tit Gilles, à l’école du charisme, il était dans la même classe que Gérald Tremblay et Stéphane Dion.

Bref, On ira pas, et on ira pas, avec le p’tit Gilles, non plus.

Tu vois mon gros belge, on s’est trop éloigné du rêve. On est trop loin de la grande aventure. Nos dirigeants sont notre reflet, et ensemble, chaque jour, à petits pas, on s’éloigne du grand matin.

On ne fait qu’attendre ce rêveur, ce fou, cet échevelé au sourcil froncé qui saura nous convaincre, les yeux enfumés au lointain, qu’il y a un lendemain.

Allez ne rie pas de nous … oh puis oui, ris donc.

Monique

Dans le métro, ligne orange, heure de pointe. On est serrés, je suis debout. Arrêt à la station Jean Talon, la jeune fille près de moi, assise, libère son siège, elle est arrivée. Alors que je suis quasiment assis à sa place, toi, femme à l’affût, convoite le siège avec autorité, me confronte du regard, avec assurance et légitimité. Sans réfléchir, je me redresse, et je te laisse ma place. Réflexe. 

Je relève la tête : Ce siège est destiné en priorité aux personnes à mobilité réduite. Trois illustrations précisent le tout : petit papy vouté à canne, ado béquilles et plâtre, jolie madame à gros bedon.

Je te regarde : je n’arrive pas à te faire entrer dans aucune de ces catégories.

Mes yeux cherchent désespérément une autre inscription, qui pourrait m’éclairer :

Siège destiné en priorité à toi, Monique – tu dois t’appeler Monique, c’est comme rien – femme de cinquante ans, grise, terne et éteinte, sexuellement abandonnée depuis des lustres, dont le mari est à construire son troisième garage, juste pour t’éviter.

Siège destiné en priorité à toi, Monique, séchée par les ans d’avoir trop cru ta mère qui te disais que tu serais une princesse, que tu pourrais tout avoir, tout choisir, et qui a passé ta vie laide en envies et en jalousies, à croire qu’à ton natif ordinaire viendraient se coller un prince et un château.

Siège destiné en priorité à toi, Monique, princesse sans royaume, ventre flasque et froid de banlieue, sourire oublié au cimetière de tes rêves improbables, dans le caveau de ton amertume et de tes rancoeurs.

Siège destiné en priorité à toi, Monique, dont la misérable et permanente insatisfaction a laissé pendre tes lèvres et naître ta méchanceté, inscrite en majuscules dans tes yeux sans âme et sans larmes.

Siège enfin destiné en priorité à toi, Monique, mère sans amour d’une mieux mariée que toi.

Je suis content Monique de t’avoir rencontré ce matin, station Jean Talon. Prend-le le siège Princesse, je te le laisse, c’est ton dernier trône.

La roulette russe

J’ai un gun, un vrai. Un S&W .357 Magnum, calibre 38 Special. Excellente prise en main, tir précis, imparable. Je l’ai depuis que j’ai 15 ans. C’est flou, je ne me rappelle pas bien la raison pour laquelle je me suis mis à posséder cette arme, probablement pour faire comme mes amis qui avaient la leur.

Au départ, j’en faisais un usage récréatif, et je dois reconnaître que pendant longtemps il m’a donné une sacrée prestance ! Bien calé dans la poche de gauche, accessible, toujours disponible.

C’est sûr qu’avec la législation des dernières années, je le sors moins, c’est très mal vu disons. Et j’avoue que je comprend bien pourquoi : on se mentira pas, c’est très dangereux. Le sujet est même devenu si sensible dans la société d’aujourd’hui que j’ai ré-évalué ma situation, je ne suis ni imbécile, ni borné.

Après réflexion et auto-critique intense, j’en suis effectivement venu à admettre que c’était un peu ridicule d’avoir cette arme depuis 25 ans avec moi. Oui c’est dangereux. Pour moi, et pour mon entourage. Et puis à bientôt 40 ans, plus besoin de ça pour me donner de l’allure franchement !

J’ai donc décidé de m’en défaire une fois pour toute. J’en ai parlé à mes amis. Ceux qui n’ont jamais eu de revolver, et ceux qui en ont eu mais qui ont fini par s’en débarrasser. J’ai reçu vraiment beaucoup d’encouragements et de félicitations !

Je dois reconnaître que l’utilisation de mon .357 est devenue très malsaine avec les années. Je suis passé du récréatif à la roulette russe. Je le sais, c’est complètement débile.

Barillet de 6, il est chargé de 3 balles. Simple : une chance sur deux.

J’ai échoué. C’était l’an dernier. J’ai tenu 3 mois sans mon Smith, et je suis allé le rechercher. Je vous laisse imaginer le sentiment de médiocrité et de honte que j’ai ressenti quand mes proches m’on revu avec …

Merde, je suis pas si cinglé pourtant, je le sais que c’est dangereux ! Hey, 3 balles sur 6, ça va finir par faire mal, j’y réchapperai pas !

Pire, non seulement je joue à la roulette russe, mais en plus il m’arrive de la faire devant mon fils de 11 ans ! Et le gun qui traîne sur la table du salon … quand on sait la propension des enfants à reproduire le comportement de leurs parents, je me comprends pas …

Je me déteste.

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Pour finir, pour les moins cons que moi, un lien : http://www.jarrete.qc.ca/