Dieu réunit ceux qui s’aiment

Un professeur de musique de Sorel-Tracy, qui préparait le spectacle de fin d’année de son école avec ses élèves, a censuré, par soucis maladroit de laïcité, le dernier vers de la chanson d’Edith Piaf, L’hymne à l’amour : « Dieu réunit ceux qui s’aiment ». 

Il a bien fait.

Dieu ne réunit pas ceux qui s’aiment.

D’abord, Dieu est nul en amour. Pour la beauté, je lui donne un point. Allez deux. Il a créé le nénuphar, et la femme. Mais pour l’amour, désolé, mais Michel Louvain est bien meilleur. Dieu, on a juste à regarder son service à la clientèle : quand c’est une femme, elle se couvre ridiculement de la tête au pied de tissus rugueux blancs et noirs, et elle s’enfonce des cierges en chantant Au sana au plus haut des cieux. Quand c’est un homme, il suce des garçons de neuf ans. Ostie, comme on dit.

Dieu ne réunit pas ceux qui s’aiment. Dieu ne réunit rien du tout. Dieu ne fait que séparer, déchirer, diviser, lacérer, morceler, dépecer, chagriner.

Dieu, quand il réunit ceux qui s’aiment, c’est six pieds sous terre. En Haïti, au Darfour, au Rwanda, partout. Câlisse, comme on dit.

L’hymne à l’amour, Edith Piaf l’a chanté pour la première fois le 14 septembre 1949 à New York, alors qu’après une vie de souffrances, elle découvrait enfin le bonheur avec le boxeur Marcel Cerdan.

Marcel Cerdan est mort le 27 octobre de la même année, dans un accident d’avion.

Dieu réunit ceux qui s’aiment ? Mon cul.

Je t’aime Monique

Dernière chance, ça ferme à 5 heures. Anjou, Dix-Trente, Carrefour Laval, fonce, grouille, enfourche la Dodge familiale. Vite, vite.

Tu quittes la maison l’air serein, mais ton coeur bat la chamade. Ça cogne si fort que la Visa dans ta poche de chemise va se démagnétiser si tu te calmes pas.

À bord de ton bolide, c’est la panique. Mille images se succèdent à une vitesse folle devant tes yeux. Comme l’an dernier, tu l’as pas vu venir, et comme l’an dernier, grouille ostie, ça ferme dans 45 minutes.

45 minutes, faut se décider. Criss, qu’est-ce que t’as fait déjà l’an passé ? Impossible de s’en souvenir. Mauvais signe, c’est que c’était pas terrible. Pression. Là cette année, plante-toi pas.

Les mille images s’accélèrent encore, y’en a de toutes les formes, de toutes les couleurs, pour tous les goûts, la Visa a mal à ton coeur.

Bonbons, chocolats, fleurs, massage, bijoux, foulard, parfum, spa, Ricardo, savon, qui se rince, qui mousse, qui crème Ahhhhhh AU SECOURS !!!

Dimanche de merde. T’as même pas pris ta douche, et va falloir aller parler à plein de madames qui sentent bon et qui feront semblant d’être attendries par toi. T’as plus mal au coeur, t’as mal à l’orgueil. Faire vite, juste faire vite et se sauver de l’enfer. Elle est plutôt soie ou plutôt coton ? Ahhhhhh mais t’en sais rien, elle est chiante, elle est juste chiante, en soie en coton, elle est chiante tout le temps. Avez-vous le modèle pour chiante?

5 heures, retour dans la Dodge, ralentissements sur la 20, la 25, la 30… coup d’oeil sur la voie de gauche, tu avances au pas au milieu de tes semblables, épuisés. On dirait que vous provoquez le bouchon. On dirait que vous n’avez pas envie de rentrer. Comme l’an passé.

Bonbons, chocolats, fleurs, massage, bijoux, foulard, parfum, spa, Ricardo, savon, qui se rince, qui mousse, qui crème… vous avez tous le même petit sac avec des poignées en ficelle sur le siège passager.

Et cette tristesse résignée. Si elle l’aime sa cassette de Nicolas Ciccone, celle dans le petit sac rose près de toi, avec un peu de vin, elle sortira peut-être sa culotte fendue. Si elle rentre encore dedans.

Tout ça pour ça.

Le Québec, mon père

Pardon d’y revenir encore : le Québec n’est pas un pays. Huit millions d’habitants, des ressources naturelles à s’en faire vomir, un territoire à perte de vue. Une langue. Une culture.

Le Lichtenstein, gros comme le Plateau Mont-Royal, ça c’est un pays, un vrai. Le Lichtenstein, c’est pas compliqué, tu mets sa population au complet dans le Stade Olympique, et il te reste encore 20,000 billets à vendre.

Le Québec me fait penser à mon père.

Il est mort, Dieu merci. Non pas que je ne l’aimais pas, bien au contraire, mais sa vie était un trop grand calvaire. Il est des souffrances à ne pas faire durer.

Dernier de quatre enfants de bonne famille, il en fut le triste mouton noir. Et ce ne fut la faute de personne. Quand ses frères devinrent ingénieur, expert-comptable ou enquêteur, il ne fit que défaillir, très tôt. Quand ma jolie mère passa dans sa vie, il n’eut que le temps de me semer, puis de nous regarder partir, incrédule.

Les trente cinq années suivantes, de cures de désintoxication en pertes d’emplois, ce ne fut que le long et pénible spectacle de la déchéance quand elle s’en prend à l’homme.

Tout a toujours été plus fort que lui.

Mais il était un honnête homme. Un homme bon. Certes, il y eut bien des années où il ne savait pas trop en quelle classe j’étais, mais il m’aimait. Mal, mais il m’aimait.

Mon père est mort tôt, bien sûr, puisqu’il ne sut prendre soin de lui, pas plus qu’il ne sut faire grand-chose d’ailleurs. Les dernières années de sa vie, il les vécut sous tutelle. Sous curatelle même. Il avait échoué à prendre quoi que ce soit en charge, pas même lui.

Pourtant il était beau comme ses frères, aussi fort, aussi intelligent, aussi aimé. Rien n’explique le destin de cet homme qui mourut comme il était né, en pleurant.

Plusieurs années plus tard, rien n’est venu encore expliquer son histoire. Il avait tout ce qu’ont les hommes forts, mais il ne fut qu’un roseau, plié très tôt, et qui ne se redressa jamais.

Mon père, c’est le Québec. Pas plus qu’il ne réussit à être un homme, le Québec ne réussit à être un pays. Et pourtant, si beau, si fort, si aimé.

Il manque au Québec ce qui a manqué à mon père et qui est indéfinissable et incompréhensible. Est-ce chimique ? organique ? mystique ?

Pour ma propre santé mentale, j’ai dû cesser de chercher. Pour survivre, j’ai dû renoncer à comprendre pourquoi le père de mon voisin, laid, petit, con comme un dimanche, avait tenu sa famille au bout de ses bras de petit homme fort et digne. C’est comme ça le Lichtenstein : laid, petit, con comme un dimanche.

Je ne peux pas être souverainiste, ça fait trop mal. Je ne peux que le rêver, le regretter, le pleurer en silence. Pas plus que je ne pus m’attendre à ce que mon père, un jour bâtisse, ne serait-ce, qu’un cabanon.

Nous sommes les enfants d’un roseau plié par un destin immuable, condamnés à aimer notre père comme il est, parce qu’on a que lui.

Pierre-Hugues Boisvenu aura toujours raison

J’aime beaucoup mon collègue du Globe Patrick Lévesque, mais pour une fois je veux m’opposer en faux à lui, tout du moins à son dernier billet sur Pierre-Hugues Boisvenu.

J’ai de l’empathie pour Pierre-Hughes Boisvenu. Comme peut-être toi lecteur, je suis père. Et quand je me mets à penser à ce qu’il a vécu,  j’accède à l’immonde, à l’indicible.

Précision essentielle : je suis foncièrement, intrinsèquement contre la peine de mort, depuis toujours. Sans exception. Aucune.

Mieux, je suis pour la réhabilitation. L’an dernier, quand je me prononçais sur Cantat, au moment de l’affaire TNM, j’étais de ceux qui étaient convaincus qu’il avait sa place sur la scène à Montréal. Sur une scène tout court. Parce que la justice était passée, parce que si collectivement nous avions dit non à la peine de mort, cela signifiait que nous avions dit oui à la peine de vivre. Et vivre, c’est pas juste respirer, c’est aussi reprendre ses activités. Reprendre vie.

Pourtant, quand Jean-Louis Trintignant, père de Marie, a dit qu’il n’irait pas à Avignon parce que Cantat était là, j’ai compris et j’ai accepté. Pour moi, Jean-Louis Trintignant aura toujours raison, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse. Parce que c’est lui qui souffre.

Lecteur, ne me prend pas mon enfant, je te jure que toutes mes belles théories vont s’effondrer. Je te jure que je n’aurai plus de morale. En dépit de mes convictions profondes et ancrées depuis toujours, je voudrai, pour toujours, ta peau. Et je te jure que je serai bien plus cruel que dans mes jolis textes. Parce que ma rationnelle aura pris le bord.

Elle vient de là mon empathie pour Boisvenu. Le père, la mère amputés auront toujours raison, quelque soit l’inavouable de leurs pensées.

Je serai toute ma vie un militant acharné contre la peine de mort, sous toutes ses formes, y-compris une corde oubliée dans une cellule.

Le vrai coupable dans tout ça, c’est le système, c’est l’État. Mr Boisvenu n’aurait jamais dû accéder aux responsabilités qu’il occupe. J’ai la conviction que ça a été une décision émotive, prise au regard de sa souffrance et de son engagement. Mr Boisvenu n’a pas assez de la vie qu’il lui reste, aussi longue soit-elle, pour accepter l’horreur de son réel. Il n’y avait pas la place pour rien d’autre, il n’était juste pas disponible à être sénateur, ni pour rien d’autre d’ailleurs.

Demain matin, j’aimerais qu’il démissionne, pour qu’il retrouve toute la liberté d’haïr son bourreau.

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En prolongation, je vous invite à lire « Contre Dieu », de Patrick Sénécal. Ou comment la rationnelle peut exploser quand ton monde s’effondre.

Radio X : fermer les micros, ouvrir les tribunaux

Tant que ça réclamait le droit de rouler en Hummer, que ça disait go-gauche, clique, communiss, salope, libârté, patinoire, merde à l’OSM,  ostie de subventionnés, sur fond de ZZ Top, c’était plutôt drôle.

Haïti, « trou de marde », ça l’était déjà moins, mais ça confirmait qu’on avait l’antenne une bande de dégénérés dont le niveau intellectuel pouvait atteindre, avec efforts, celui d’une moule mature.

Quelques eructations radiophoniques plus tard, nous filions la métaphore culinaire pour finalement nous entendre que nous avions affaire à des jambons. Des jambons, des gros jambons, radio-jambon. On avait pas le choix, ça nous prenait un mot, court et simple, compréhensible de nos ex-molusques. Simon Jodoin ou la gang du Sportnographe ont bien tenté des appellations plus articulées, mais émus par le regard dépourvu de nos tubes digestifs déscolarisée, ils se résignèrent à faire simple : jambon.

Bref, bercés par la mélodie roteuse du jambon-moule de l’est, nous continuions nos vies, entre amusement et résignation : ben oui, qu’est-ce que tu veux, il faut de tout pour faire un monde. T’as bien un oncle obsédé, vulgaire, et qui sent la transpiration toi. Il fait partie de notre humanité quand même. Et puis tu le vois juste à Noël, alors …

On a bien ri, tube digestif, moule et jambon, mais je crois qu’il faut que le ricanement cesse et qu’on reprenne un peu nos esprits, j’allais dire, citoyens. Mononcle il est drôle, mais là, réveil, il a les mains dans la culotte de la petite.

Le 19 janvier, sur les ondes de Radio X Saguenay, lors de l’émission du matin, les animateurs proposaient ceci :

Castrer et déporter les itinérants dans le Grand Nord.

(voir la transcription ici, merci au blogue du Collectif Emma Goldman).

La liberté d’expression est garantie par l’alinéa 2b de la Charte Canadienne des Droits et Liberté. On y reconnait son importance vitale et le devoir de la protéger, que ce soit par le Parlement, la Justice, ou les différentes commissions compétentes existantes.

À propos de la Justice, dans l’arrêt Taylor de la Cour Suprême du Canada du 13 décembre 1990, le juge en chef Dickson déclarait cependant :

La propagande haineuse représente une menace grave pour la société. Elle porte atteinte à la dignité et à l’estime de soi des membres du groupe cible et, d’une façon plus générale, contribue à semer la discorde entre différents groupes raciaux, culturels et religieux, minant ainsi la tolérance et l’ouverture d’esprit qui doivent fleurir dans une société multiculturelle vouée à la réalisation de l’égalité.

L’arrêt en question est relatif à une affaire extrêmement intéressante : on distribuait aux gens une carte sur laquelle figurait un numéro de téléphone à Toronto, et quand on appelait, un répondeur faisait entendre des messages dénigrant les Juifs. Qualification de la cour : propagande haineuse.

Je ne suis pas spécialiste en droit, mais je me dis que si un message téléphonique a pu être considéré comme un appel à la haine, il doit pouvoir en être de même pour des propos tenus en ondes sur une radio à une heure de grande écoute ?

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Les propos tenus sur Radio X Saguenay sont des appels à la haine. À la haine sociale. Ils ciblent le groupe identifié que sont les prestataires du Bien-être Social et les itinérants. Un groupe fragile, qui plus est, avec très peu de moyens de défense, et on le sait chez Radio Nord Communications, on le sait très bien, on le sait tellement.

Je crois que le temps est venu pour nous, collectivement, d’aller un peu au delà du jambon. Le temps est venu de sonner la fin de la récréation. Le temps est venu de défendre les principes d’une société à laquelle nous tenons.

Le temps est venu de fermer les micros, et d’ouvrir les tribunaux.