Cher voleur

Je suis celui, ou un de ceux-là, que tu as dépouillé aujourd’hui sur l’heure du dîner, au resto du coin. Avec l’adresse de l’horloger suisse et le sang froid du chirurgien, tu as réussi à extraire le portefeuille du veston que j’avais déposé sur le dossier de la chaise sur laquelle j’étais pourtant assis. À cet effet, j’aimerais te dire quelques mots.

D’abord, bravo. Une fois dépassé le court découragement et la petite humiliation de s’être fait berner comme un débutant, c’est très vite l’admiration qui prend le dessus et qui s’impose. En effet, comment ne pas s’enthousiasmer devant un tel savoir-faire? Pardon de te faire rougir, mais il y a dans le geste que tu as posé à mon endroit aujourd’hui, non seulement la distinction des plus grands mais, j’en suis certain, l’amour du travail bien fait. À cet égard, sache que tu as cogné à la bonne poche, et que la qualité de ton artisanat a été appréciée à sa juste valeur.

J’aimerais également te dire merci. Merci non pas, tu t’en doutes, d’avoir un peu compliqué le dessous de mon sapin, mais de l’avoir fait avec une douceur qui, je te le jure, t’honore. À la fin d’une année terrible, marquée par le sang et les larmes, une année qui a épuisé l’humanité, tu as eu la bonté, je pèse mes mots, de déployer ton ouvrage de la façon la plus pacifique qui soit. Alors qu’il eut été si facile de faire trébucher une grand-mère ou de terroriser le Chinois du coin, c’est en artiste, en Gandhi du Mikado, que tu as procédé. Ne sois pas gêné, je le pense vraiment, et tu mérites ce rare passé antérieur que je t’offre avec plaisir.

Ce soir, je t’imagine chez toi, dans ton repère, en train de contempler ton butin. À peine éclairé par une ampoule sans abat-jour, tu recomptes les billets. Ils sont le fruit de ta virtuosité, ne boude pas ton plaisir, et bois à ma santé. Il y a très longtemps, alors qu’il avait été visité par un piètre malandrin, ton cousin peut-être, le grand Desproges dénonçait l’amateurisme qu’on rencontre parfois dans ta profession, ces “reliquat(s) freluquet(s) de sous-truanderie” qui repartent avec “un vieux sac à main où l’enfant rangeait les billets du Monopoly et ses dents de lait pour la petite souris”. Il avait su saluer ceux de ton rang qui travaillent avec “une conscience professionnelle sur laquelle bien des jeunes gens honnêtes seraient bienvenus de prendre exemple”.

Brassens aussi avait su apprécier son “prince des monte-en-l’air et de la cambriole”, et avait prié Mercure de le préserver de la prison. Il lui avait même dédié une chanson. Si tu me connaissais, tu saurais que mes grands auteurs sont comme mon bel habit et mes passés antérieurs, je ne les sors que pour les grandes occasions.

Cher voleur, mon ami, mon frère, le temps est déjà venu de te saluer et de te souhaiter bonne chance. Et comme le disait encore le poète, sache que “ce que tu m’as volé, mon vieux, je te le donne. Ça ne pouvait pas tomber dans de meilleures mains”.

Avec mon amitié et mon admiration,

PS : Dans la pochette, juste sous la carte de l’hôpital, tu verras, il y a un petit papier plié. C’est la prescription pour les médicaments du petit. Il en aurait besoin rapidement. Merci.

Allez on dit du bien … des flics !

15 mars 2011, traditionnel rendez-vous au centre-ville de Montréal : c’est la manifestation contre les violences policières. Chaque année c’est la même chanson, une poignée d’énervés considère qu’à la violence stupide, une seule réponse : la violence stupide. Donc bris de vitrines, de voitures, affrontements.

Cette manif’ a une particularité dans le lot des manif’ montréalaises : les organisateurs ne communiquent pas aux autorités le trajet qui sera empreinté par les insurgés. Sauf que quand tu communiques pas ton trajet, ben ta petite corrida n’est pas considérée comme officielle. Il y a des règles à la colère, ben oui !

2010 : environ 90 arrestations. 2011 : plus de 280 arrestations. Qu’est-ce qu’il s’est passé donc ? Ben rien de spécial, capitaine ! C’est juste que cette année, nos flics ont fait marcher leur méninges ! Une fois n’est pas coutume ! Motif des arrestations ? entrave à la circulation ! Sublime.

La porte-parole des anti-flics est toute insultée ce matin, mais faut avouer que le coup est superbe ! Ben oui championne, si tu enregistres pas ta manif, c’est plus une manif, c’est juste du dérangement ! Conséquence, 280 arrestations sur à peu près 300 manifestants, et petit moment de solitude pour les épagnés !

Coup de chapeau au coup de méninges des flics de Montréal, bien des vitrines inoncentes épargnées, et une  leçon à retenir : non à la violence policière, mais soyons créatifs pour la dénoncer, l’impuberté a ses limites.

Bon allez, on dit du bien de … Yves Desautels

Yves Desautels, pour les impurs, c’est le Monsieur trafic de la radio de Radio-Canada à l’émission C’est bien meilleur le matin de René Homier-Roy, et l’après-midi à l’heure du retour à la maison. C’est mon idole, mon frère, mon guide.

Jamais volontaire mais docile, je quitte le sommeil du lundi au vendredi, à 6:15. M’étant reproduit sans difficulté il y a une dizaine d’années, une petite course folle s’engage chaque matin afin d’assurer à ma descendance le Quick et la gauffre chaude, ainsi que tous les services (il est en tout-inclus) nécessaires à son existence. Pour la nourriture de l’esprit, je le confie à l’école, et je complète et corrige le soir.

Et pour mener à bien ma course matinale, j’ai besoin d’Yves. Je me fous de la météo puisque j’ai des fenêtres. Par contre, ce qu’il va se passer sur mon chemin de croix, ça m’inquiète terriblement. Mais qui est donc cette âme qui se promène en hérisson sans jamais en écraser pour me faciliter la vie et me montrer le chemin ?

Sa voix, invariablement douce et rassurante, m’accompagne depuis le café. Pourtant, il ne me ménage pas, et plus souvent qu’autrement, ce n’est pas une promenade de printemps qu’il me prédit, mais plutôt une course contre la montre, encore. J’aurais bien des raisons de l’haïr, ce prophète de sur-place, cet empêcheur de prendre mon temps et une autre tasse. Mais ça n’arrive jamais, le message n’affecte pas le messager, et je sais pourquoi.

Yves, il est de mon bord.

Yves, ça l’écœure quand j’arrive en retard au bureau.  Yves, ça l’affecte ce que je vis. Yves,  il comprend tout de moi. Yves, il a décidé de prendre soin de moi. Yves, il m’aime.

Yves est un saint. Plutôt que de me réciter l’attente pour Papineau, 35 minutes au moins depuis Concorde, il ouvre la mer en deux et me dégote un détour par Pie IX, me rappelle que j’ai besoin de lave-glace, me dit de faire attention, c’est glissant. C’est pas très intelligent ce camion d’asphalte à l’heure de pointe René, j’appelle la Ville ! Yves ne me raconte pas le trafic, il le modifie, pour moi. Parce qu’il m’aime. Et depuis si longtemps.

Yves, c’est Jésus en moins trentenaire.

Je n’ai jamais appelé Yves pour signaler un pneu sur la route. Je n’ose pas. J’aimerais être de ses disciples, qu’il m’appelle fidèle collaborateur, qu’il soit mon ami, qu’il soit de ma famille. Qu’il me raconte le flamenco.

Merci Yves.
Véronique ?

Ajout 26/02/2010, 16:45
Quoi de mieux qu’un message qui arrive à son destinataire ! René Homier-Roy a lu mon texte ce matin en ondes à Yves Desautels : http://www.radio-canada.ca/Medianet/2010/CBF/CestBienMeilleurLeMatin201002260605_1.asx