Le blogueur, ce prétentieux, cet « influent » imposteur …


Je m’interroge beaucoup ces temps-ci sur le fait de bloguer. Quel est le sens du blogue ? du moins, de ces blogues, comme le mien, plutôt que de traiter en bon amoureux légitime de passions telles la philatélie ou le maquétisme, qui se permettent de commenter, le plus sérieusement du monde et avec haute prétention, des sujets brulants en immitant, parfois avec style, les vrais professionnels que sont les journalistes, chroniqueurs, analystes. Notez juste la longueur de ma précédente phrase, paragraphe à elle seule, pour en mesurer la-dite prétention.

Le fait est probablement dans l’outil. L’illusion est la suivante : tout finit par un texte.

Jadis prestigieux, l’être de lettres est aujourd’hui commun. Instruit, j’ai fait quelques études, je m’entretiens par quelques lectures, j’ai parfois (souvent) un idée sur tout, et il se trouve que l’orthographe ne me joue pas trop de mauvais tours. Me voilà tout équipé pour, quand ça me tentera, aligner quelques paragraphes soignés. Il y a vingt ans, J’aurais écrit des poèmes à mon amoureuse, j’aurais envoyé des voeux de bonne année finement sentis, une belle lettre de plainte bien ficelée à Hydro-Québec, avec photocopie à l’appui, pour les copains du bureau. Tel aurait été le fruit de mon érudition textuelle.

Mais le web est arrivé, puis le blogue est arrivé. J’ai du verbe, voilà qu’on me donne du média. Je vais m’en servir, fies-toi sur moi.

Alors me voilà immitant le journaliste. Je soigne même la mise en page, regarde bien lecteur la mise en page, check le texte justifié, comme les vrais…

Mais c’est pas tout, on est en 2010, merde. Alors je vais me faire voir, je ne vais pas juste te donner mon texte bien senti, je vais te donner le personnage qui vient avec, et tu vas l’aimer, je m’occupe qu’il soit bien à la mode. Je vais être montréalais, beau gosse ou arrogant, si je peux, les deux. Mais je veux que tu me voies, je veux que tu me remarques. Je vais me brander le patronyme, je vais cinq à septer stratégiquement, je parlerai vite et avec esprit. Et si je me pseudonyme, du verbe pseudonomiser, putain quel style, tu auras quand même ma photo, urbaine et noir blanc, en grand dans Urbania.

Je suis un dentiste avec un Leica, et je fais de belles photos, la technologie me le permet, je me sens photographe. Donne moi une guitare, je serai musicien. Donne moi un sac à dos, je serai aventurier. Fais de la place à mes textes, je serai journaliste, oui !!!

Donne moi n’importe quoi, mais donne moi surtout de l’importance et de la lumière !

Bloguer n’est pas jouer. Je ne suis pas journaliste. Je ne suis pas celui ou celle qui enquête, fouille, part et revient, n’a pas d’horaire. Je suis un amateur éclairé, du moins qui souhaite être, par la lumière, très éclairé. Je refais le monde sur mon macBook, dans le confort de mon foyer, gluant de bonheur si on me reTweet.

Lecteur, aide-moi s’il te plait. Ne me considère pas plus que ce que je suis.

Savignac ? Un correspondant au courrier du lecteur. C’est déjà bien.

7 réponses sur « Le blogueur, ce prétentieux, cet « influent » imposteur … »

  1. Simon Dor 20 février 2010 / 17:47

    Intéressant. Ça met en effet en évidence le problème de la fiabilité des sources et de la connaissance. On dirait que toute démarche journalistique doit se prouver, plutôt que de fonctionner sur la confiance qu’on donnait avant aux journaux eux-mêmes.

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  2. Barliche 20 février 2010 / 19:01

    Charles Taylor nous a donné sa politique de la reconnaissance dans Grandeur et misère de la Modernité. Aussi, dans Multiculturalisme; Différence et démocratie. Il y deux ans, je me souviens avoir répondu que je voulais être reconnue à la question que souhaites-tu le plus dans ta vie. Pour ce que je suis, et dans toute mon originalité. Je ne savais pas à ce moment à quel point cela traduisait une réalité qui nous rejoint tous.
    Comment je vous considère monsieur? Comme quelqu’un qui non seulement maîtrise l’écriture, mais qui s’en sert habilement pour diffuser une pensée fine qui trouve écho en mon esprit. Le blog n’est pas en jeu, en effet, pour celui qui ne joue pas.

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  3. koval 21 février 2010 / 07:24

    Je disais, billet amusant chez Lutopium, j’ai oublié de dire que je suis en plus d’accord avec le contenu…

    Bloguer n’est pas jouer, mais d’un autre coté, on fait tous un peu du show business comme vous le dites…

    Les blogueurs ou journalistes les plus crédibles, à mon sens, sont ceux qui en font le moins de toute façon.

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  4. savignac 21 février 2010 / 08:57

    Oui, Koval, c’est un jeu de dupes, et c’est vraiment la raison pour laquelle j’ai fait ce billet, dont la saveur ironique m’est toute destinée. L’illusion sérieuse et professionnelle des blogues que j’évoque, n’excluant pas le mien, a pour conséquences de fabriquer des petits écriveurs qui finissent par se prendre bien au sérieux.

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  5. L'Amer 21 février 2010 / 14:26

    Article plaisant en effet .

    Mais le fait d’ouvrir un blog est une façon détournée peut- être d’échapper au bourrage de crâne quotidien de l’information formatée . A l’arrivée , on peut se demander si l’on ne soliloque pas un peu dans la grande forêt de la blogosphère . On se rend compte aussi en fréquentant le web que se reforment peu à peu les mêmes groupes d’influence sur les sites des hebdomadaires ou sur les hébergeurs comme ici ou ailleurs , où les gens en place répercutent assez vite les réflexes de conservation du pouvoir des médias précédents au détriment d’un réel échange enrichissant .Le net un leurre ? La technologie ne semble pas changer la nature profonde de l’être humain … Mais vaste sujet .

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  6. renartleveille 24 février 2010 / 00:01

    C’est bien un billet dans l’air du temps. Quand l’ironie veut dire une chose et son contraire, et qu’on peut toujours alors se défendre sur tous les fronts.

    J’élabore un peu plus chez moi…

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