La laïcité, la gauche, et ma soeur

Jadis, sensible aux valeurs humanistes de progrès, de fraternité, de solidarité, de partage, et d’égalité, je votais pour le Parti Québécois. En dépit de notre bonne éducation, ma soeur, qui mouillait sous un beau militaire catholique près d’Hérouxville, favorisait plutôt les valeurs traditionnelles fondées sur l’ordre et le mérite, le libéralisme économique et le chacun pour sa gueule. Elle votait libéral et n’écoutait, ni mon père, ni Paul Piché. C’était simple, on se détestait et on se méprisait tranquillement en attendant de nous disputer l’héritage au dessus du cadavre encore tiède de nos parents bientôt morts de découragement. Bref, j’étais de gauche, elle était de droite, et notre famille dysfonctionnait harmonieusement ainsi.

Puis vint la charte sur la laïcité.

Heureux comme un pape, je m’empressai alors de fouiller dans mes origines de gauche pour y trouver les fondements et les vertus d’une séparation radicale des églises et des états, garantissant la souveraineté citoyenne et préservant mon humanité de l’aliénation trop longtemps imposée par les soutanes lubriques de tous poils. Le père m’avait enseigné que pendre le dernier des curés avec les tripes du dernier des patrons était le plus beau des projets, je ne pouvais donc que me réjouir. Du moins je m’y apprêtais, quand je réalisai que dans cette charte à priori libératrice, les valeurs de partage, de fraternité et d’égalité avaient été jetées un peu vite avec l’enfant Jésus et l’eau bénite de son bain. Dieu me pardonne, mais j’étais un peu fourré.

Fourré d’autant plus quand ma conne et libérale de soeur me téléphona un matin, pliée en deux, pour me dire:
– Hey bravo mon beau bobo de frère, tes amis sortent une charte qui rejette et qui exclut, c’est pas très de gauche ça!

À mon inculte grenouille de bénitier je répondis, énervé:
– Épicure, les Lumières, Voltaire, Marx, la laïcité c’est à nous, ça n’exclut pas, c’est progressiste, ça libère, ta yeule.

– Ça libère des emplois, effectivement! Des emplois occupés par des femmes immigrantes, fauchées en pleine émancipation, qui seront contraintes de rentrer à la maison sous le joug tyrannique de leurs maris dominants!

Évidemment l’illuminée qui me servait de soeur n’était pas tout d’un coup devenue intelligente, elle ne faisait que suivre les lignes d’un parti opposé à la charte non pas par grandeur mais par opportunisme, mais je devais admettre qu’elle avait raison. Si la laïcité s’inscrit dans une mouvement progressiste et libérateur, celle de la charte renferme le terrible paradoxe de l’exclusion, ce qui est difficilement acceptable quand on porte fièrement, comme moi, à gauche.

Le projet de laïcité du Parti Québécois n’a rien à voir avec la tradition républicaine à l’européenne d’une saine séparation du profane et du sacré dans les affaires publiques, il n’est que le fruit d’une volonté de resserrer les rangs souverainistes par trop désorganisés. Pour ce faire, il n’hésite pas à agiter l’épouvantail du péril islamique fantasmé, s’appuyant sur une xenophobiguïté des plus habiles, quitte à abandonner ses valeurs progressistes fondatrices, transgression de tous ses principes d’ailleurs confirmée avec l’intégration dans ses rangs d’un chantre du néolibéralisme décomplexé.

Me voilà donc, pour la première fois de ma vie, avec la même position que mon espèce de soeur et son cul béni de mari. Eux, ce n’est que par simple opportunisme politique, parce que croyez-moi que ça tripe pas fort sur le foulard et le tajine. Les amis de la charte comme Mathieu Bock-Côté surfent d’ailleurs sur cette ambiguité en pointant du doigt une improbable complicité entre les libéraux et les gens de Québec Solidaire, que tout sépare pourtant. Une manipulation de plus pour décrédibiliser le vote souverainiste de gauche qui s’est naturellement déplacé vers Françoise David.

La laïcité est un principe fort de la gauche historique, celui que m’a enseigné mon père. Mais la tolérance en est un autre que je me refuserai toujours d’abandonner. Avec la charte sur la laïcité, le Parti Québécois a rompu avec ses principes fondateurs, et à force de malhonnêteté intellectuelle et en entretenant à merveille une xenophobiguïté odorante, il a créé une confusion dont il espère profiter. La gauche de coeur ne peut plus se reconnaître dans ses rangs, pas plus qu’elle ne sera à sa place chez les libéraux de ma boutonneuse de soeur. Québec Solidaire devient alors plus qu’un choix possible, c’est une simple évidence.

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Moi l’intégriste

Me doutant qu’ils allaient se faire rare dans le débat sur la charte des valeurs, j’ai voulu dans mon dernier texte envoyer un signe d’amitié aux personnes – et particulièrement aux femmes – qui allaient en être les victimes, c’est à dire les femmes voilées. Si la charte tient ses promesses, elles seront évacuées de l’espace public, de nos administrations, de nos CPE, etc.

La question de savoir qui les voile, je ne l’ai pas abordée, elle est sensible, et on saute trop souvent aux conclusions. La réalité est qu’elles portent le voile, et que croire qu’elles le retireront sur ordre est un leurre et une hypocrisie puisque nous savons bien que c’est tout à la fois religieux, culturel, traditionnel. Il s’agit donc bien d’organiser la disparition de ces personnes de notre espace commun.

Depuis ce matin je me fais traiter partout d’islamiste intégriste qui prône le retour à l’esclavage des femmes, et avec une violence étonnante.  Mais refuser ces femmes dans notre espace public, n’est-ce pas interrompre leur émancipation? N’est-ce pas leur montrer la direction du foyer? C’est moi l’intégriste?

Et les fesses? Je vous renvoie à la burqa de chair de Nelly Arcan.

Je vais assumer que je me suis mal exprimé, que j’ai été un brin provocant, maladroit même. Je trouve ça moins confrontant que de réaliser que je suis entouré de xénophobes.

La charte des malheurs

Je regarde un peu plus le cul des filles ces temps-ci. Non pas que j’avais complètement abandonné cette pratique séculaire et sans douleur, mais comme j’avais versé mon dévolu sur un en particulier, je m’imposais depuis cette petite réserve polie qui fait ma grandeur. Mais récemment libéré d’un derrière exclusif et familier, je caresse à nouveau du regard les multiples champs arrondis du possible.

C’est donc les yeux baissés vers un livre dont j’ignore tout que je contemple, ligne orange, les fondements inégaux de mes contemporaines. La saison est mon amie, alors je me dépêche d’en profiter avant que de trop longs tissus, semblables aux feuilles mortes, ne tombent et viennent recouvrir de tristesse ces valons éphémères et chatoyants. Parfois la nature s’émerveille, et je pense alors à Jeanloup Sieff, grand parmi les grands, qui photographiait comme personne les séants prometteurs, et qui disait: « Ce sont les voûtes romanes de l’architecture corporelle, qui permettent de retrouver la foi originelle en une Femme à l’image de Dieu. Ce sont ceux-là que j’aime photographier, pour en conserver à jamais les courbes miraculeuses avant que le temps ne les dégrade. Ces derrières-là mériteraient presque, récompense ultime de leur unicité, de n’avoir point de trou du cul. »

J’ignore quel métro prenait Sieff, mais ligne orange, le sublime arrière-train n’est pas de tous les wagons et les courbes ne sont pas toutes les fruits du miracle, hélas. Hélas ou tant mieux? Je laisse à Grégoire Delacourt le soin de l’éloge à la petite grosse, l’éloge au cul du temps qui passe. Il le fait à merveille et avec une bonté qui justifie à elle-seule un best-seller mondial.

Ainsi je m’attarde, station après station, à tous ces derrières, miraculeux ou injustes, délicatement suggérés ou offerts de triste exubérance. Des culs baveux, des culs chromés, des culs hurlants. Des culs sans âme, parce que trop dévoilés. Alors, pour fuir le vulgaire, je cherche le tissu. Je fouille mon wagon, en quête de sous-entendu, en quête d’insinuation, en quête d’à peine évoqué, de juste aperçu.

Parfois, mon regard condamnable s’arrête sur une robe. Pas une petite robe blanc-cassé montréalaise, une longue robe. Une robe interminable et sans rebond. Mais c’est une belle robe, cousue de fils d’or délicats qui arpentent une soie riche et colorée. Une robe sans arrogance qui donne juste envie de remonter jusqu’aux yeux, jusqu’aux cheveux. Des yeux foncés et profonds, sensibles et discrets. Mais pas de jolie coiffure, non. Par dessus, une autre étoffe, fine, brodée et gracieuse.

Ce matin, ligne orange, j »ai lâché des yeux la fente sans fierté, presque odorante, de la blonde d’à côté pour m’attarder sur cette femme-là, aux yeux foncés et profonds, sensibles et discrets. En vrai je ne sais pas ce qui l’anime, ce qui la chagrine, ni qui l’habille vraiment. Je la trouve juste belle, elle me grandit.

Mais mon gouvernement veut la faire disparaitre.