Lâcher prise


Il parait que le texte de Judith Lussier dans Urbania a fait grand bruit. Elle ne portera plus sa petite robe blanc cassé, parce qu’elle a provoqué, dans la rue, des réactions déplaisantes.

Je ne la mets plus parce que j’ai l’impression qu’un memo est passé à l’effet qu’une robe blanc cassé sur une fille blonde donnait l’autorisation aux gars de siffler la fille, toucher la fille, la dévisager, la violer du regard (avec la langue qui sort un peu de la bouche), ou lui faire des compliments déplacés. Je ne me suis pas sentie bien, je n’ai plus jamais remis la robe.

C’est pas rien. D’abord, siffler, c’est vulgaire. C’est ma mère qui m’a appris ça. Toucher une fille par contre, à part la morphine ou un but en fin de prolongation, je ne crois pas qu’il y ait d’instant plus délicieux que celui-là. Cependant, toujours selon ma mère que je ne remercierai jamais assez, il faut son approbation. Et même à une approbation, on préfèrera une invitation, avec frissons et joues roses de préférence. Mieux encore si un petit souper précède le tout. La langue qui sort un peu de la bouche, sauf quand on éprouve, gêné, de la difficulté à dégrafer une brassière neuve, c’est disgracieux, surtout si déjà on sue dessous le nez.

Était-ce une agression? Si oui, c’est pas dans Urbania que ça doit se régler, mais au poste de police le plus proche.

Était-ce une exagération, parce que Judith Lussier ressent, comme moi rue Berry, un sentiment de malaise quand un homme lui signifie, adroitement ou non, un quelconque intérêt à vocation de rapprochement, parce qu’elle sait qu’elle est, à cet instant précis, une déception en devenir puisque les Dieux et les hasards ont orienté sa boussole vers l’autre flanc de la montagne? Si oui, je me dois de la disqualifier, comme je me disqualifie moi-même en pareille circonstance, mais non sans ces quelques précautions d’usage qui devraient éviter d’inutiles bavardages:

J’ai une tendresse toute particulière pour les lesbiennes. Non, pas pour le fantasme improbable de la pornographie, mais pour le bon goût que nous partageons, elles et moi, quand nous trouvons une fille jolie. Pour le bon goût que nous partageons, elles et moi, de demeurer froid devant un homme qui sue dessous le nez dans un chandail trop court, faiblesse touchante de la Lavalloise hétérosexuelle. J’ai, par ailleurs, une amitié indéfectible pour les gays, résistants de longue haleine, combattants infatigables de la bêtise ordinaire. J’ajoute cette petite jalousie devant cet habile évitement de la princesse et du syndrome pré-menstruel.

J’ai le ton léger, mais à la vérité j’ai l’âme à la déprime, et comme une envie de lâcher prise. Je pourrais bien une énième fois confronter la bêtise militante, rappeler que si parfois nous sommes égaux, nous hommes et femmes, c’est bien dans la vulgarité et le manque de subtilité que nous témoignons jour après jour, tantôt par un talon trop haut, tantôt par un regard trop bas. Mais on me renverrait alors des drames arrivés ou inventés, qui ne m’appartiennent pas, et on finirait par me convaincre que j’ai moi aussi la langue qui sort un peu de la bouche.

Le jeu de la séduction est complexe, il l’a toujours été, et ce bruit sans nuance tend à le complexifier davantage. Quelques gorets nous ont nuit, nous nuisent parfois, comme d’autres guidounes ensalopées rendent peu hommage aux femmes. On n’ira nulle part à grand coup de toutes des salopes, à grand coup de tous des violeurs. Moi en tout cas je n’irai pas, et je ne finirai pas sur un bras de divan à faire le chat, pas plus que dans une publicité de Desjardins, pour signifier par l’absurde que je suis inoffensif.

Mais s’il faut aller nulle part, j’ai bien peur que nous y allions ensemble. On m’a partagé récemment la bande dessinée Paying for it, de Chester Brown. C’est l’histoire autobiographique d’un type qui lâche prise, épuisé par la complexité du romantisme, et qui décide de n’avoir désormais de relations sexuelles qu’avec des prostituées.

Est-ce qu’on peut ne pas se souhaiter ça, mais se rapprocher un peu, voire s’entr’aimer à l’occasion?

4 réponses sur « Lâcher prise »

  1. Julie 3 août 2013 / 11:24

    Savignac, j’aime tes mots. C’est pour ça que je me permets de te tutoyer, dans ce texte. Tu m’excuseras si ça t’insulte. J’aime tes mots depuis la première fois que je t’ai lu. C’était sur une fille qui lit dans le métro. Puis il y a eu le texte sur l’avortement, grand coup de coeur. Ton analyse nuancée, tes mots drôles, l’humanisme que tu y mets. J’ai aimé. Beaucoup.

    Mais là, là tout de suite, mon coeur saigne. Tu devineras que c’est mon coeur de féministe qui ne se sent pas trop bien. Un coeur qui est né au crépuscule des années 70, terre infertile pour les féministes, s’il en fut une. J’ai grandi avec la conviction que c’était dépassé, que la job était « all done ». Puis j’avais un frère, des amoureux, des amis, un père, des cousins, des oncles. Pourquoi me battre contre eux, leur arracher leur bout de ciel? Pourquoi leur faire mal? Même si parfois je vivais des situations injustes, même si je ne me sentais pas tout à fait un homme, pas assez, je résistais au discours féministe. Même que j’ai été filmée à dire tout ça, dans un film sur le féminisme.

    Tu devineras aussi que j’ai changé d’idée. Je ne sais plus exactement quand. Ce ne fut pas une personne, mais plutôt la lecture de plusieurs textes, des discussions avec mes étudiantes, puis le printemps érable, qui a fleuri devant moi. Ça s’est imposé à moi: ce n’est pas une guerre des femmes contre les hommes, le féminisme, c’est une guerre des femmes, oui, mais elle est dirigée contre un système (attention, je ne crois pas à un club machiavélique d’hommes pervers qui nous contrôle, juste à un système social qui a évolué et qui a trouvé malheureusement le moyen de survivre et de s’imposer). Bien sûr, ça fait mal de se l’admettre, qu’on fait partie de ce système, qu’on le perpétue. Mais les féministes n’en rendent pas plus les hommes responsables que les femmes. C’est là tout le malentendu.

    Quand j’arrête de porter des robes parce qu’on me siffle, quoique je ne sois pas lesbienne, remarque bien, quand j’arrête de les porter, ce n’est pas au siffleur que j’en veux. J’en embrasse même de temps en temps de ces siffleurs. J’en veux plutôt au poids que ce sifflement me fait porter, à la peur qui gronde en moi, parce qu’on m’a éduquée à la ressentir cette peur (ça prend ça pour que ça fonctionne, la domination. Je dis en passant que mes parents ont fait de leur mieux, on s’entend. Quand les journaux racontent ce qu’ils racontent, on veut protéger nos enfants. On montre à notre fille à ne pas sortir trop tard, à ne pas trop boire, à se faire raccompagner. On l’infantilise. Les autres filles restent donc les mauvaises filles. Elles courent après quoi). J’en veux beaucoup à moi-même, c’est sûr.

    Bien sûr que c’est aussi lourd à porter pour vous les hommes, c’est ça le pire de l’histoire. Vous avez envie de nous en vouloir, à nous, de ne pas vous laisser nous aimer. Et c’est juste là que le système gagne. Ça aussi ça me rend triste. Quand j’entends mes amis dire comme toi. Que d’écrire ce vécu, de le dénoncer, c’est de vous traiter de violeurs. Que les salopes qui existent ont le même impact sur vous que les vieux pervers sur nous. C’est pas vrai. On le sait mais on a envie d’égaliser les choses. Le fait est que, parce que je suis une femme, j’ai peur, je dois rentrer tôt, je ne dois pas fréquenter des inconnus, je dois éviter de boire. Ce qui est égal par contre, c’est qu’on en souffre tous, de cet état de fait.

    J’écris tout ça ici, parce que ça a envie de sortir, tout simplement.

    Voilà

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  2. Savignac 3 août 2013 / 12:41

    Salut Julie,
    Merci pour ton message, pas de problème pour le tutoiement. Merci aussi pour tes bons mots.

    J’ai pas grand chose à objecter à ta réponse, c’est une réalité que je connais, que je comprends, et qui m’écoeure autant que toi. C’est juste que face à cette vulgarité là, je ne vois pas de solution immédiate, sinon l’éducation. Par contre, la réponse idiote qui est amenée par le bruit médiatique (Lussier, Robert, Bombardier, pour ne citer qu’elles), je la trouve insupportable, parce que malhonnête (violer avec le regard!), globalisante, et sans nuance.

    Je n’aime pas ce que je vois, ce que j’entends. Je n’aime pas l’image de l’homme dans les médias, dans la publicité, dans la société. Ce nouvel homme descente de lit, il ne fait la joie de personne, sinon des fondamentalistes.

    Et oui l’idée de lâcher prise me tente à l’occasion. Je ne serai pas une descente de lit ni un petit chat, et ce n’est pas un dogme, ça n’est pas une lutte, c’est juste qu’il y a aucune avenue d’épanouissement là pour moi.

    Je crois sincèrement que dans les années à venir, il sera important de prendre soin de nous, ensemble.

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  3. leblogdecl 4 août 2013 / 16:25

    Chères* Julie et Savignac,

    chères amis* d’infortune, puisqu’il semble admis que nous évoluons dans un système hostile, ayons aussi conscience d’en faire partie intégrante et de pouvoir en modifier les principes.

    J’ai 40 ans comme vous Julie (désolée de délaisser le tutoiement, j’ai une affection particulière pour le respect qu’induit le vouvoiement), je suis ingénieure, mère de deux petites filles (10 et 12 ans) que je ne peux me résoudre à considérer comme des victimes d’office « du système », comme certains
    discours féministes victimaires tendent à nous le faire croire.

    Je vois au contraire dans mes filles deux nouveaux rouages, en guerre contre personne, mais que nous, leur père et moi, élevons dans la conscience de leur féminité, avec les forces et les faiblesses inhérentes (et aussi, certes, les craintes particulières qu’en tant que parents, on a pour les filles).

    Et oui, je leur apprends aussi les dangers propres liés à leur sexe (les seuls dangers que je connaisse), les éduque sur la longueur de leur jupe, les chemins à éviter seules, mais ne considère pas cela comme une atteinte à leur liberté, mais au contraire une façon lucide de les outiller, autant que faire se peut, contre les dangers de ce monde.

    Avec leur père, on leur apprend le respect de l’autre. L’autre, dans toutes ses différences et, comme le souligne si justement Savignac (merci monsieur pour votre texte, au passage), c’est ce principe d’éducation qui prévaudra et améliorera « le système ».

    Cessons donc, les querelles inutiles, comme ce texte de Lussier, qui ne servent à rien en vérité sinon à raviver le feu de nos découragements et à diviser là où il faut au contraire réunir.

    Ne renonçons pas, lions-nous – hommes&femmes- dans ce travail d’éducation. Prenons-soin de nous, comme le dit si joliment Savignac.

    Ensemble, faisons reculer les nuisibles (ô la belle neutralité du mot).

    Ensemble.
    J’insiste.

    *l’emploi du mascuminin (ou du fémisculin, au choix) n’est pas discriminatoire mais alourdit, je vous l’accorde, considérablement le texte.

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