#matricule728 – Incontinence émotive


Le balancier stupide de nos émotions incontrôlées s’est encore fait aller. c’était écrit dans le ciel désespérant de nos médiocrités répétées. On n’apprend pas, c’est décourageant.

Pourquoi diable ne sommes-nous pas capable de nous indigner avec intelligence? Pourquoi devons-nous forcément aller frapper le même mur, sur la même route, et à la même vitesse que la dernière fois? Nous sommes des incontinents émotifs, et on en fout partout. La policière en question a agit et parlé de façon inacceptable. On est tous d’accord là-dessus, c’est révoltant.

Mais c’est toujours la même valse bancale à deux temps. Premier temps, l’indignation sans sphincter. On s’échappe, et ça ne tarde pas à sentir mauvais. Sans contrôle, Injures, parodies, diffusion de son adresse, menaces de mort, lynchage… du bruit, du bruit, du bruit, jusqu’à l’écoeurement. Et quand, épuisés, le nez dans notre pisse, on se rend compte qu’on aurait un peu dû serrer les fesses, vient le temps du deuxième temps de notre danse ridicule, le remord, tout aussi imbécile. Ils ne sont pas tous comme ça dans la police, soyez respectueux, c’est un être humain, et gnagnagna, et gnagnagna… Un deuxième temps tout aussi gluant que le premier.

Si au moins c’était la première fois. Souvenez-vous l’an dernier, la petite ado qui s’est suicidée parce qu’elle subissait de l’intimidation. Souvenez-vous comment l’autre petite, soupçonnée d’intimidation, a été, par nous, livrée aux chiens. Souvenez-vous, l’an dernier encore, quand un certain internaute a voulu piéger des cyber-prédateurs, comme nous avons, complices, diffusé en large photos et vidéos d’individus sans jamais se soucier, ni du vrai, ni du faux, ni des impacts d’une telle justice irraisonnée et lapidaire. Et j’aurais pu parler de Cantat, de Turcotte…

Et finalement, qu’avons-nous réglé? Rien évidemment. L’intimidation vient de tuer cette semaine encore en Colombie Britannique, et je crois bien que les cyber-prédateurs sévissent toujours. Nos pertes chaudes sont non seulement inutiles, mais elles finissent, du fait de ce balancier d’excès d’indignation et de remords, par neutraliser l’événement, par un épuisement invisible de l’émotion.

Quarante-huit heures après la diffusion des images de l’intervention inacceptable de la policière, où en sommes-nous? On est écoeuré, on ne veut plus en entendre parler. Voilà le résultat. Les excès d’indignation et les excès de remords font qu’on n’en pense plus rien, déjà.

Et on recommencera, parce que c’est offert, parce que c’est permis.

10 réponses sur « #matricule728 – Incontinence émotive »

  1. Marcel bourbonnais 12 octobre 2012 / 18:32

    Oui, bon OK. On fait quoi ? Elle a bavé. Nous avons bavé. Peut-on poursuivre le raisonnement ? Collectivement, on est rendu là. Je ne veux pas dire tout le monde en même temps, mais des initiatives peuvent être prises au niveau du langage, non ? Plutôt que d’attendre la prochaine fois, peut-on revenir sur ce qui vient de se passer et poursuivre le texte, le raisonnement ?

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  2. Savignac 12 octobre 2012 / 18:42

    Vous savez quoi faire Marcel contre cette incontinence là? Moi pas. Poursuivre le texte, c’est le recommencer.

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  3. Mathieu Massicotte 12 octobre 2012 / 19:30

    Et ce texte, n’est-il pas un peu de l’incontinence émotive aussi? Je saisi bien son propos, et je suis en fait plutôt d’accord. Surtout en ce qui concerne le cas des deux jeunes filles…Le lynchage public n’a jamais servi la justice, est incapable de saisir les nuances des circonstances et relève plus de la « mob mentality » que d’une réelle réflexion. On n’affiche pas publiquement l’adresse personnelle d’une personne soupçonnée d’un méfait, que ce soit avant le procès, OU MÊME APRÈS… Mais ceci étant dit, on fait quoi? On refuse de s’indigner, on s’enferme dans une supposée impartialité mièvre? Comme certains chroniqueurs l’on laissé entendre, si ce n’avait été de l’indignation massive face aux comportements débiles de cette policière, si ce n’avait été du brouhaha médiatique, cette flic serait toujours en service, alors qu’elle passe et repasse devant la déontologie policière depuis 1998… Je suis entièrement d’accord qu’il y a eu de sérieux dérapages dans la poussée d’indignation populaire des derniers jours, mais en même temps, il semblerait que sans une indignation populaire massive, qui comporte toujours des débordements puisque c’est une indignation spontanée, populaire et non-organisée, le SPVM n’agit pas contre ce type d’individu au sein de leurs rangs. Que les corps policiers cessent de faire de la déontologie un exercise en relations publiques, qu’ils mettent en place des procédures claires et qu’ils agissent avec vigueur contre ce genre de bavure policière, nous pourrons alors nous questionner réellement sur l’utilité de ce genre de procès public…

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  4. Savignac 12 octobre 2012 / 19:37

    Je veux bien me faire prendre dans mon propre piège, mais où est mon débordement? Mon incontinence? De ne pas apporter de solution?
    La sortie de Radio-Canada était suffisante à ce que l’affaire sorte et tombe dans les mains des personnes compétentes pour la traiter.
    Notre vigilance est évidemment de mise, mais le lynchage ne peut être identifié comme un outil d’éveil, désolé, je refuse ça.

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  5. Mathieu Massicotte 12 octobre 2012 / 20:54

    Mon commentaire ne présentait aucunement le lynchage comme « un outil d’éveil ». Je tentais simplement d’amener une certaine nuance. À mon avis, votre article est aussi un peu une forme d’incontinence émotive puisque votre propre indignation semble incapable de différencier l’indignation populaire légitime, de celle des petits esprits minables qui la détourne pour en faire un exercice de lynchage public. Et puis cette notion « que la sortie de radio-canada était suffisante à ce que l’affaire tombe dans les mains des personnes compétentes pour la traiter » est parfaitement loufoque et ridicule. On doit se taire et laisser les médias faire leur boulot gentiment? Voila des années que je lis dans les journaux les manigances outrancières des libéraux, voila des années que je lis Louis-Gilles Francoeur qui prend la peine de démasquer les torts faits à l’environnement par des intérêts sans scrupules, voila des années que je déniche tout plein de faits divers troublants qui devraient amener les gens au pouvoir à se questionner sérieusement et à opérer des changements. Pourtant il n’en est rien, et la raison en est simple: l’indignation populaire n’est pas au rendez-vous.

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  6. Savignac 12 octobre 2012 / 20:58

    Je dénonce le lynchage, pas la prise de position publique. Et oui la sortie de la SRC dans ce cas précis a été suffisante, toute le reste n’a été qu’un bruit inutile qui, si il continue va avoir l’effet inverse: à trop charger la policière, on va finir ça exagéré, puis on va compatir, pour finir par la trouver sympatique…

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  7. Marcel bourbonnais 13 octobre 2012 / 15:46

    La sociologie est un sport de combat.
    Dans « le ciel de nos médiocrités répétées » il y a Mathieu qui dit qu’à son avis, votre article, Monsieur, est aussi une forme d’incontinence et que de retrouver ce qui le gonfle entre les mains de personnes compétentes pour les traiter, en plus de la sortie de radio-télé machin lui apparaissent « parfaitement loufoque et ridicule. »
    Oui, oui, je le relis, c’est bien ce qu’il dit, loufoque et ridicule. Formule intéressante… Je l’essaye : dans le ciel de nos médiocrités répétées, confier les causes de ce qui me gonfle aux mains de personnes compétentes pour qu’ils les traitent et, la sortie de radio télé machin est parfaitement loufoque et ridicule. Ah, cool. Ça fonctionne. La littérature est vivante. Balzac et Dostoïevski laissaient macérer des découpures de journaux en leur encrier. Les faits divers, Le colonel Chabert, et Les souvenirs de la maison des morts ont pleuré, entre leurs doigts, leur histoire. Maintenant je sais. Le fleuve, l’amour avant la mer. J’y suis, j’y marche. Je redis les mots de l’autre. Mon point de vue passe, en son regard, au niveau du ressenti.
    Merci les gars, il faut que je me sauve. J’ai beaucoup aimé vous lire ! C’était trop cool. Je dois passer au FNC, après je continuerai dans ma boutique 😉

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  8. Mathieu Massicotte 14 octobre 2012 / 11:03

    M. Bourbonnais, pour quelqu’un qui s’affiche comme un intello, vous devriez faire preuve d’une plus grande subitlité d’esprit, et, surtout, vous devriez apprendre à lire. Je ne saisis pas comment mon commentaire a pu produire votre réponse étrange, confuse, et ultimement insignifiante. Un peu moins de citations pédantes, et un peu plus de contenu svp… Ce qui est loufoque et ridicule, ce n’est pas le travail des journalistes, qui est bien entendu essentiel. Si vous aviez réellement lu mon commentaire, vous l’auriez compris. Ce qui est loufoque et ridicule, c’est de croire que ce travail est à lui seul suffisant pour provoquer un quelconque changement dans la société. Ce qui est loufoque et ridicule, c’est de croire qu’on devrait, en tant que citoyen, abdiquer notre devoir d’éveil aux mains de journalistes, sous prétexte que les changements sociaux s’opèrent uniquement dans la dynamique entre les médias et les instances au pouvoir. Globalement, les médias et le journalisme sont dans un état pathétique et sont plus souvent qu’autrement incompétents. C’est précisemment par l’éveil des citoyens que les enjeux importants dans la société évoluent. J’ai trouvé que l’article de M. Savignac, enragé qu’il était contre la bêtise de l’opinion publique (ce qui est souvent vrai), est lui même coupable de ce qu’il dénonce… On généralise et on affirme sur un ton outré que l’indignation citoyenne n’est que le produit de petits esprits enragés, alors que dans les faits, j’ai vu beaucoup de discussions intelligentes un peu partout dans les médias sociaux et dans le milieu de travail que je fréquente. Qu’on critique les débordements de cette opinion publique est une chose, mais qu’on affirme que tout le monde devrait se taire et laisser les journalistes gérer l’affaire puisque ils sont seuls compétents à le faire, c’est tout simplement loufoque et ridicule, justement…

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  9. Marcel bourbonnais 16 octobre 2012 / 15:32

    Allô Mathieu Massicotte,
    merci de prendre le temps de me préciser l’objet du loufoque et du ridicule qui était déjà clair dans votre premier jet et de me faire partager quelques expériences sur lesquelles s’appuie votre raisonnement. C’est cool, merci. Le fait est que votre façon de confronter le point de vue de l’autre m’est apparue sympathique et m’a beaucoup fait rire -en ce sens qu’elle m’a fait plaisir. J’ai trouvé que vous aviez du punch et que dans l’ensemble votre écriture témoignait d’une vision politique en laquelle je suis confortable : l’info des masses-médias ne peut remplacer la prise de parole individuelle, communautaire, associative, collective. Peut-être est-ce frivole de mêler observation politique, festival de cinéma et création littéraire ? Je ne sais pas j’explore. Je lis le blogue de Savignac pour son style, son sens de la nouvelle et son remarquable talent à produire un raisonnement en peu de mots. J’attends toujours son prochain texte avec impatience. Je me trompe peut-être, mais écrire dans son sillon me fait un peu penser à ces clubs d’échecs en plein-air, naguère, dans les pays de l’Est, ou encore au Taï Chi dans les parcs publics, ou même, au jam session où des perussionnistes, des chanteurs, des badauds et des guitaristes partagent le toît d’un immeuble à Istanbul. Être publiquement dans l’exercice de soi, de sa propre sensibilité affirme une démarche de purification publique de la chose publique. Dans le commentaire précédent, j’avais mentionné Balzac et Dostoïevski qui, sensibles aux faits divers, aux gens les ayant vécu, avaient mis leurs plumes au service de leur histoire, de leur mémoire et combattu ainsi à leurs côté contre l’oubli de leur dignité, de leur vérité. De tous les sens que nous pourrions donner à ce que nous sommes en train de faire est que le travail sur la forme, le jeu et la matière artistique (l’écriture en est une) est une façon de nous exercer à prendre notre place sur le plan politique. Cette idée va conduit directement à la culture de la résilience présentée par Cyrulnik qui dit que l’art est en première ligne et efficace pour témoigner de soi devant l’histoire. En ce sens j’aime pratiquer l’écriture avec d’autres. En ce sens encore, merci de m’avoir donner la réplique.

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