Le masculin l’emporte


Dans un de mes récents textes, je m’adressais aux étudiants en grève. Cette lettre à l’étudiant a connu un écho certain et cette lecture fut recommandée, à ma grande joie, de très nombreuses fois sur les médias sociaux. 

Une de ces recommandations a retenu mon attention, elle invitait à lire la lettre à l’étudiant-e. Euh … non. Lettre à l’étudiant tiret e n’est pas mon titre, et en plus c’est très laid. Puis changer un titre, je trouve ça cavalier, chère. Vous l’aurez compris, la personne en question est animée par une grande sensibilité féministe, et de toute évidence elle est en croisade, grammairienne tout au moins.

Retour justement sur la grammaire. Oui, depuis la disparition du neutre latin, le pluriel des genres s’accorde au masculin. C’est conventionnel, et comme ça fait quelques siècles que c’est comme ça, je crois qu’on en est de moins en moins surpris et que notre compréhension n’est pas trop altérée. Testons : « les étudiants sont contre l’augmentation des frais de scolarité ».  Compréhension : la communauté composée de garçons et de filles qui poursuivent leurs études est contre l’augmentation des frais de scolarité. Ça marche, et j’ai vérifié sur les photos de la manif’ du 22, le cortège était bien composé de filles et de garçons. Féminisons : « les étudiantes sont contre l’augmentation des frais de scolarité ». Compréhension : les gars s’en crissent.

L’accord masculin est donc un accord inclusif et accueillant les deux moitiés de notre humanité, qu’est-ce que tu veux que je te dise, copine grammaticalement insurgée ? Aurait-il fallut que je truffe mon texte de tirets et de e, au risque de le rendre illisible, ou bien suis-je condamné à ne parler que des bagagistes, des téléphonistes, des étudistes afin de m’assurer de ne pas être re-titré au gré de tes humeurs de lutte, copine à l’accord tourmenté ?

La langue française est ainsi faite, contrainte de trancher en permanence dans ses genres. Bourreau et assassin, invariablement masculins, te précipites-tu, copine, avec tes tirets et tes e ? Est-ce de ma faute à moi si même féminin est un nom masculin ? Et as-tu pensé à la souris, petit animal rongeur dont le mâle est si injustement, au péril de sa virilité, affublé de ce petit nom féminin ridicule ?

Et la violence copine, la violence … nom commun si stupidement féminin, alors que l’humanité toute entière s’éveille blottie au chaud de ton sein, que tu vas si rarement à la chasse ou à la guerre, toi qui ne fus même jamais dictateure …

Aujourd’hui, demain, après-demain, des dizaines de copines, des voisines, des collègues de travail vont êtres harcelées, intimidées, bousculées, tabassées. D’ici la fin de l’année, quinze d’entre-elles n’y auront pas survécu, parce que le masculin l’emporte. Elle est là, copine, la lutte, et je crois qu’elle a besoin de plus d’indignation et de changements que mes accords.

6 réponses sur « Le masculin l’emporte »

  1. Annick Desjardins (@annickdes) 23 mars 2012 / 12:52

    Quand vous écrirez «les infirmiers» pour parler de l’ensemble des membres de cette profession, je pourrai croire que l’accord masculin est inclusif. Pour l’instant, il traduit encore un rapport inégalitaire.

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  2. koval 23 mars 2012 / 19:22

    Come on! Sur le nombre de commentaires troud’cuesques que vous avez reçu pour la lettre aux étudiants, c’est celui-là qui vous a accroché!?!?

    Cela dit, vous pouvez vous adresser à l’étudiant, je m’en sacre, mais dans ce texte, pour moi en tout cas, j’ai compris que vous vous adressiez à un gars, parce que vous avez utilisé le terme « le jeune ».

    Je trouve que ça a l’air ben tannant la féminisation de la langue , mais moi j’aime bien, c’est une mise jour essentielle…

    Par exemple, ici au Québec, on a des camionneuses, en France elle sont encore des femmes camionneurs, c’est très révélateur…

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  3. Savignac 24 mars 2012 / 08:15

    Ah Koval ! On se retrouve souvent et sur beaucoup de points, mais dès que je touche
    un petit peu (c’est déjà arrivé) au sujet sensible du féminisme, vous sortez les griffes,
    et je savais que j’aurais la chance d’en parler avec vous, ce qui est toujours un réel
    plaisir !

    C’est vrai que j’aurais pu réagir à bien d’autres commentaires « troud’cuesques », mais j’ai
    une petite sensibilité à ce combat que je trouve souvent si mal mené, et surtout mené
    avec agressivité et amertume.

    Oui il est toujours possible de féminiser un texte, mais au prix de l’alourdir terriblement,
    notre langue est ainsi faite. Et je ne cèderai pas à ça.

    Ce matin un texte intéressant dans la Presse, qui montre à quel point certaines positions
    féministes ont fini par creuser un fossé ridicule entre nous. Cette jeune femme, qui de toute
    évidence a frappé le mur du combat de sa mère et de ses tantes, se retrouve dans un rêve
    de régression où, comprenant que le toutou fabriqué par ses paires est un compagnon ridicule,
    elle imagine l’homme idéal ni plus ni moins qu’en homme de Cro-Magnon.

    On est pas au bout de nos peines !

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  4. koval 24 mars 2012 / 11:53

    Je ne me sens pas agressive,l’autre texte m’a agressé, bien sûr….et je sors les griffes devant tout ce qui m’énerve, ça s.est vrai.

    Je ne sens pas ce fossé qu’auraient creusé les féministes, désolée.

    Je vais vous dire, j’ai même réagi agressivement à un texte de Jocelyn Robert qui doit se considérer féministe….

    Quand on met les femmes en boîte, je deviens colérique, c’est ben pour dire comme je suis mal faite hein?!?!

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  5. koval 24 mars 2012 / 12:58

    Oups! Je voulais écrire « Jocelyne Robert » méchant acte manqué!!! Je l’ai masculinisée!!!

    Jocelyne la sexosophe! Ah! Ah! Quel titre niaiseux qu’elle s’est donné!

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  6. koval 25 mars 2012 / 10:02

    Je n’avais pas vu le texte de la presse..

    C’est une méchante toutoune, faudrait pas en dégager des tendances sociales….

    Elle est commandité par la droite adéquiste conservatrice au mieux, au pire par le RLQ….ben oui…beau lamantage de gniouf son témoignage! J’y vois que la bêtise habituelle!

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