Quand Bertrand Cantat me confronte


 

Depuis l’annonce, hier, de la venue de Bertrand Cantat au TNM la saison prochaine, le Québec participatif est en émoi.

De ceux payés pour le faire à ceux qui aimeraient l’être, chacun y va de son commentaire assumé et définitif.

Pour autant, la profusion n’est pas garante de diversité, et on ne lit ni entend rien de bien nouveau. La panoplie des postures est assez limitée.


Posture émotivo-rancunière :

Il a tué une femme, maudit chien sâle, il  n’a plus le droit de se faire applaudir jamais. Dérives possibles : récupération féministe malsaine, négation du système judiciaire, rejet de la réintégration, excès de langage.

Posture pragmatico-pardonnante :

Il a payé sa dette par la prison, et si on croit en la justice et la démocratie, on doit lui permettre de se réintégrer dans la société. Dérives possibles : banalisation de la violence faite aux femmes, affaiblissement du devoir de mémoire, idéalisation.

 

Certains futés mélangeront les deux et opteront pour la posture émotivo-rancuno-pragmatico-pardonnante, que j’appelerais plutôt l’approche pas dans ma cour : il a tué, il a payé, il peut être réabilité, je suis ouvert, mais ne me demandez pas d’y participer. Angle le plus lâche si vous voulez mon avis. C’était l’angle dominant dans les médias aujourd’hui.

Et moi ? c’est pas plus simple que  pour vous, je vous rassure. Sauf que je vais assumer que ce ne soit pas simple, et je ne tenterai pas de m’en sortir facilement.

Ce qui nous heurte le plus dans cette histoire, c’est la morale. Et la morale, c’est moi, c’est toi, c’est l’intime. Accepter le retour de Bertrand Cantat revient, dans nos cerveaux trop occupés, à justifier, excuser, pardonner. Insupportable, moralement, intimement.

Bânir nous préserve de cela, mais on sait, au fond de nous, qu’on a alors un peu abrégé la reflexion.

Bref, on s’aperçoit rapidement qu’on ne s’en sort pas facilement, que les réactions émotives et tranchées n’ont de valeur qu’à conforter celles et ceux qui les émettent dans une idée de monde qui les rassure, et que les réactions pseudos-ouvertes ne sont que le reflet du besoin de sauvegarder la morale tout en signifiant une fausse générosité auto-satisfaisante.

Alors moi, je me dois bien évidemment de me positionner, puisque je me permet ces observations.

L’affaire Bertrand Cantat, c’est le 11 septembre. C’est trop gros pour moi. Chacune de mes pensées, aussi travaillée soit-elle, arrive à ce même constat. C’est du malheur par dessus le tragique, c’est au dessus de l’humain, ce n’est pas à ma portée.

Cette histoire me confronte en tant qu’humain, en tant qu’homme, et mon honnêteté intime à moi, c’est justement de ne pas choisir de posture afin d’assumer cette confrontation.

 

J’ai aujourd’hui l’âge qu’avait Bertrand Cantat un mois avant que tout cela n’arrive.

 

21 réponses sur « Quand Bertrand Cantat me confronte »

  1. Martin Dufresne 5 avril 2011 / 23:06

    Le portrait où tu renvoies dos à dos les intervenants fait l’économie d’une dimension importante. Que Cantat remonte sur scène, je m’en tape. Il l’a déjà fait en France en octobre dernier. Et on l’a applaudt, en bêlant sa compréhension, en le fantasmant écorché vif: http://www.rue89.com/tribune-vaticinateur/2010/10/05/bertrand-cantat-le-retour-du-heros-et-de-la-victime-169609
    Non, le truc plus pénible ici c’est le « branding » par le TNM d’un spectacle (qui se veut sur la violence faite aux femmes) par l’annonce que ce sera la rédemption de Cantat, médiatiquement adoubé par Wajdi Mouawad, qui avait déjà annoncé la couleur à Ottawa en 2008, lors de la série «Manifestes» (au CNA), où il avait infligé à l’auditoire une longue lettre écrite à l’attention de son «ami» B. Cantat.
    Ce n’est donc pas de Cantat qu’il s’agit mais de ceux et celles pour qui la mort d’une femme, ce n’est pas la mort d’un homme, ça ne doit pas s’interposer à l’Art et à la vénération qu’on doit à l’Artiste, incompris a priori.
    On n’a qu’à voir ce qui s’est écrit sur Polanski et avant lui sur plusieurs pédophiles couronnés pour comprendre qu’il y a eu là défense d’un droit de cuissage bien traditionnel, qui est maintenant en train de virer au droit de vie ou de mort sans discrédit acceptable.

    Par ailleurs, je respecte le sentiment que tu exprimes dans le reste de ton texte. Se reconnaître dépassé, personnellement concerné, c’est déjà beaucoup moins graveleux et cynique que ce que je lis et j’entends des apologistes de Mouawad.

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  2. koval 6 avril 2011 / 06:39

    Je suis assez d’accord avec Martin. Une des conséquences de l’art, c’est le jugement par le public. Si je m’objecte moralement, j’ai l’impression qu’on va me taper sur les doigts ou me traiter d’émotivo-rancunière, comme si je dépassais mes droits!?!?

    Cela me choque Cantat dans une pièce féministe! Je voudrais voir la tête que les hommes feraient si Lorena Bobbit venait nous jouer du violon dans une pièce où on fait l’apologie des hommes….ha ha ha! Là, il n’y aurait aucun équivoque!

    Je lisais ceci hier, il se pourrait bien que Wajdi recule, la gronde est forte.

    http://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/l-invitation-de-bertrand-cantat-par-un-theatre-suscite-l-emoi-a-montreal_979867.html

    Oui, j’émets un jugement moral, cette mise en scène est morbide et je m’élève contre, de la même façon que je m’élevais contre l’exposition du corps humain parce que la provenance des cadavres était louche….

    Alors je suis bien une émotivo-rancunière….

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  3. savignac 6 avril 2011 / 08:08

    Pour moi il est hors de question de taper sur les doigts de quiconque, tant la réflexion est complexe. La plus grande des libertés est aussi de choisir de ne pas applaudir.

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  4. savignac 6 avril 2011 / 08:10

    🙂 Pris dans la main dans le sac !
    Alors oui je peux être, Dieu merci, moi aussi émotivo-quelque chose, mais entendons-nous qu’on parle pas tout à fait de la même chose.

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  5. savignac 6 avril 2011 / 08:14

    Effectivement il y a un côté spectaculaire dans ce choix de mise en scène et de rédemption

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  6. koval 6 avril 2011 / 09:04

    Je vais vous ajouter un ou deux truc s, pas nécessairement en lien avec vous, mais bien avec ce que je ressens:

    1- Si on offrait à Guy Cloutier un rôle d’avant-plan dans la mise en scène d’une pièce sur la souffrance des enfants victime d’agressions, personne n’hésiterait à s’élever contre ça. Personne ne se poserait vraiment de questions. Cela me laisse assez pantoise….la société pense-t-elle vraiment que ce qui est arrivé à Marie T est moins grave que ce qu’a subit Nathalie S. ?!?! C’est assez fatiguant comme questions. Dois-je en conclure qu’il est moins pire de casser une femme à coups de poing jusqu’à la mort que d’abuser sexuellement d’un enfant? La société semble penser que oui, moi, j’ai des réserves, c’est ça qui m’indispose. Ces deux choses sont abjects, bien sûr. Que pense-t-on des crimes passionnels? Pourquoi certains nous parle de ça en référence à Cantat? Ça m’agace hautement, moi je parle de crime répugnant, même si c’est moins émotif et romantique. Aurait-on idée de parler de crime passionnel quand une femme tue son mari? Je n’ai jamais eu connaissance de ça…

    2- Beaucoup de « bien pensence » dans cette histoire, ainsi certains font des amalgames douteux, disant qu’il a purgé sa peine et que lui interdire de se produire sous Wajdi, dans ces conditons, est équivalent à être contre la réhabilitation, je les trouve émotifs….

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  7. savignac 6 avril 2011 / 09:32

    Difficile d’être en désaccord avec vous. 2 facteurs peuvent peut-être expliquer ce deux poids, deux mesures je pense. D’abord, concernant Guy Cloutier, le public ne décolère pas de l’indulgence de la justice et du temps ridicule qu’il a passé en prison. Et concernant Cantat, au regard de 40 ans de vie semble-t-il normale, le soupçon de l' »accident » plane dans l’air.

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  8. koval 6 avril 2011 / 17:07

    Oups! Quelle maladresse! Je viens de tuer mon conjoint par accident! 😉

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  9. savignac 6 avril 2011 / 18:25

    Accident dans le sens accident de la vie, pas dans le sens du détail des événements. On peut retourner l’histoire dans tous les sens, je pense que cet instant de folie furieuse n’a jamais été prémédité, prévu, pas même imaginé. Surtout pas dans une si belle vie.

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  10. hlfx 8 avril 2011 / 03:57

    Je suis français. Comme Jean-Lois Trintignant, nous sommes nombreux à penser que Cantat « s’est conduit comme une merde ». Je méprise profondément ce type dont j’ai aimé la musique, ce type qui a battu à mort sa compagne et l’a laissée crever comme on ne laisserait pas crever son chien, l’a laisser agoniser de longues heures dans son sang au lieu d’appeler les secours. Doit-on pardonner ? Nul n’y est obligé… D’autant plus qu’il n’a jamais fait amende honorable et a toujours chercher à minimiser sa responsabilité dans son crime… Une loi canadienne stipule que les types de son espèces ne sont pas les bienvenus chez vous. Soyez-en heureux. Il y a suffisamment de gens bien et talentueux sans aller chercher les services d’un assassin particulièrement odieux qui n’a jamais assumé son geste.

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  11. savignac 8 avril 2011 / 05:36

    De quelque nature que pourrait être la position de Jean-Louis Trintignant, aussi éloignée puisse-t’elle être de mes propres valeurs, c’est devant celle-là que je m’incline. Ça fait trois jours qu’on retourne le problème dans tous les sens, qu’on essaie de voir clair dans cette histoire afin d’émettre une opinion éclairée, mais la vérité d’un père qui souffre ne sera jamais discutable.

    Ma position n’a pas changé et si je continue à affirmer que la vérité simple est un leurre et le rejet une démission, la voix de Jean-Louis Trintignant sera celle qui aura le plus résonné dans mon cerveau cette semaine.

    AJOUT : Le présent commentaire a été écrit une heure avant l’annonce par Bertrand Cantat de son renoncement à participer au festival d’Avignon. De toute évidence, il prend, lui aussi, toute la mesure de la parole de Jean-Louis Trintignant.

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  12. bob 8 avril 2011 / 23:14

    Ce qui est visible, c’est que le dramaturge a été chercher un « people » et un choix sulfureux, et que ses déclarations sur la rédemption etc. ne sont pas trop crédibles : il est difficile de remplir des salles de théâtre : cela ressemble à un calcul publicitaire enrobé dans un discours pseudo-moral.

    La prochaine fois, il invitera à montre sur la scène les prêtres pédophiles dans une pièce sur le viol d’enfants.

    Les artistes chouchoutés par les médias deviennent franchement dégoutants.

    2) Reconnaissons qu’un homme qui aweUR hanté par les sentiments de culpabilité après un tel acte ne chercherait pas à se montrer sur scène. Il opterait plutôt pour la discrétion et la méditation. Cantat veut jouir à nouveau de la staritude, un besoin maladif et un jememoisme de mauvais aloi.

    Quoiqu’il fasse, les gens n’écouteront plus sa musique de la même façon. C’est ainsi. Un crime a des conséquences, et ces conséquences vont au-delà des règles et formalités juridiques.

    En tant qu’artiste, le dramaturge et Cantat devraient le comprendre.

    3) Cependant, je regrette que les gens qui se sont exprimés contre cet emploi de Cantat se manifestent aussi énergiquement lorsque des représentants des lobbys d’armement sont invités par les universités comme « experts en sciences politiques », alors qu’ils travaillent pour des entreprises et des États qui tuent des gens et lancent des bombes qui provoquent des malformations chez les enfant. Les journalistes préfèrent visiblement parler de Cantat que de ces meurtriers.

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  13. sandy39 21 novembre 2011 / 08:11

    A Monsieur Savignac,

    Mais non, ce n’est pas trop gros pour nous. Bien sûr que c’est du malheur par-dessus le Tragique et ça le restera pour toujours, dans l’Histoire des Hommes.

    C’est très bien pour vous, Mr Savignac, de dire que ce n’est pas simple, de l’assumer sans vous jeter dans une Meute qui parle sans réfléchir…

    Je crois que j’ai tout dit dans « Cantat nous lit ».

    Faut oser aller chercher en chacun de nous, ces choses qui nous subliment. Il y a tant de belles choses en nous : la paix, l’amour…Tout ça, tout le monde n’est pas capable d’aller le chercher au plus profond de soi. Cela dérange beaucoup, moi pas car on est sur Terre pour y faire le Bien. Il faut creuser nôtre âme pour distinguer le Vrai du Faux, le Bien du Mal…

    Même si Bertrand n’est pas un ange, ni un monstre, il doit y avoir respect de sa personne. Et dans cette affaire ou ce fait divers (je déteste ce mot) car sans les médias, ce n’en serait pas un. Peu ont respecté que c’étaient quatre baffes et Ils en ont fait leur propre Histoire, ça dû les exciter les journalistes qui avaient, apparemment, rien d’autre à se mettre sous la dent… Ils n’ont même pas respecté son chagrin ni ses larmes. Pour moi, la souffrance quelqu’elle soit se respecte !

    Alors, ils vont chercher dans la vie des Autres (parce qu’il y a toujours de l’argent à gagner sur la tête de quelqu’un), ce qui doit leur manquer.

    C’est vrai que le Coup de Foudre(c’est déjà pou moi un coup de folie), les titille, les dérange : ceux qui ne sont jamais tombés dans sa Toile.

    Et c’est comme ça que les journalistes ont brisé la vie de Bertrand. Et je suis sûre que c’est ça qui a fait que sa Femme s’est pendue. Et dès qu’il doit entendre son nom, Bertrand doit vivre un cauchemar.

    .

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  14. savignac 23 novembre 2011 / 22:09

    Merci Alain de contribuer à une réflexion complexe. Savons-nous quel est le quotidien de Cantat aujourd’hui ? Que devient-il ?

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  15. sandy39 24 novembre 2011 / 11:44

    Monsieur Savignac, c’est Moi SANDY 39 qui essaie de répondre à vos questions. Mon Mari n’a rien à voir là-dedans. Il n’est pas fait pour cela.

    Les questions que vous vous posez reviennent aux miennes. Comment ne pas être en souci de Lui, qui vit et résiste malgré et contre tout cela ?

    Les 2 dernières questions que vous vous posez, je me les suis déjà posées.

    Alors à bientôt.

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  16. sandy39 11 juin 2012 / 08:43

    Si on ne fait pas de réflexion profonde, on va à la destruction de l’Essence de l’Etre humain.

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